L'Opéra Bastille présente jusqu'au 12 mai prochain, sur l'intégrale de la Troisième Symphonie de Gustav Malher, une chorégraphie de John Neumeier, dirigée par lui, mise en œuvre et dansée par les Étoiles, Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris.
Cette symphonie en 6 mouvements tourne autour de la création du monde et des premiers pas de l'homme. La vie, la mort, le bien, le mal, la haine et l'amour s'y affrontent à tour de rôle.
Le chorégraphe, présentant son travail au public l'engageait à « ressentir » cette musique sans chercher à l'interpréter, à se laisser saisir par elle, à la manière dont lui même y est entré avant d'imaginer ou d'ébaucher le moindre geste.
Ressentir est le mot clef de ce ballet, qui, dès le premier mouvement qui dure plus de trente minutes, présente les premiers pas et l'inévitable affrontement de deux groupes d'hommes, qui se défient.
Saisi au tripes, bouleversé, emporté par les images puissantes de ce vrai poème musical, vous reviennent les mots de Gustav Malher : « une musique doit toujours ouvrir sur une vision, une vision qui est au-desus des choses de ce monde. »
S'impose alors ce long texte lyrique tiré de Oiseau ailé de lacs de Salah Stétié.
Blé des hommes
1
Le
moissonneur du vent le semeur de blé noir
A pour pays l'impur
désert du crépuscule
Avec ses anges dévastés par les
épines
Saluant en silence
La disparition matinale des
galaxies
Sur toute plage elles ont laissé traîner leurs
griffes
Pour qu'on adore anxieusement leurs traces
A l'abri
d'un bois invisible éclaté
Abandonnant sa feuille
Pour aider
à l'apaisement du cœur
2
Peur.
Peur. Peur.
Brisé de traits à l'avancée du jour
L'homme
avance avec l'avancée.
Puis le voici dans
l'immobilité.
Avancée immobile. Marche immobile.
Les champs
autour sont des labours antiques.
Pas de blé en ce monde
Mais
le blé des images
– Pour que s'éclaire et s'illumine l'énigme
de la traversée
On attendra debout
Sous tout ce blé stérile
3
Marche
à nouveau, homme enfermé, statue du vent !
Dans la nuit de
ton achèvement
À travers les réseaux de l'araignée
Buveur
d'eau noire et mangeur de violettes
Pris entre loups dans la
dentition des plaines
Et le surgi de ta théologie :
Ce
dieu-fourmi qui est ton ombre
4
Homme
enfanté par la complexité des lignes
Muet dans tes prisons
Tant
de nuits pour l'enfantement de ta face
Sous le laurier d'éclat du
non-être
Ce pays qui fut verdoyant ton pays
Déchiré
déchirant
Tes pieds dans la gravité du rien
In Oiseau ailé de lacs © Fata morgana 2010, p.8 à 11
Et
parce que surgit la femme au cœur du cercle des hommes, objet de
désir et de conquête, et que le chorégraphe lui offre une place
majeure, ce dernier extrait du poème, qui donne son nom au recueil :
Oiseau ailé des lacs
J'ai
tiré de ma tête un monde
Avec de l'eau, des insectes, avec des
rires d'enfants
Des femmes de ferveur bleue, et d'autres –
fauves
Autour d'elles il y avait comme un saule d'amour
Autour
d'elles il y avait des bouches douces noires
Et les yeux ô leurs
yeux de femmes aigles tendus !
Tout le ciel au-dessus en
tribus d'alphabets
Tant de mots tant de phrases et les étoiles
nues
Mon amour est parti mon amour revenu
Ibid
p.38
Internet
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Vidéo sur youtube
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Sur le site de l'Opéra de Paris
Contribution de Roselyne Fritel
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