En regard de l'actualité de ce qui se passe en Syrie, ce poème de l'égyptienne Fatima Quandil qui fait partie du choix effectué en 2012 par Maram al-Masri pour son anthologie de Femmes poètes du monde arabe.
Si tu gardes le silence, maintenant
« Mon dieu, souviens-toi, ils tuent comme s’ils tiraient avec les doigts un cheveu collé dans le plat. »
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La mort, c’est une opération esthétique sans anesthésie sur le visage de la vie.
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I1 n’y a rien qui s’appelle mémoire. On place des jours passés dans un frigidaire. Et, de temps en temps, on les en fait sortir pour les contempler pendant qu’ils se mettent à fondre et dégorgent de l’eau. Habituellement, j’appelle ça des larmes.
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Ils meurent à chaque instant. Ils naissent à chaque instant. Et moi, je ne me rappelle plus où j’ai mis l’ancien portemanteau où j’ai pendu les instants de ma vie.
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Personne ne peut me convaincre que ceux qui sont tués vont descendre sous terre ou que leur âme va monter au ciel. Ces gens-là, précisément, ils vont te suivre tandis que tu es calme et souriant ; et il y aura beaucoup de bruits autour de toi faits exprès pour couvrir le son des flashes.
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La vie paraît maintenant une éponge qui aspire le sang. Seuls les idiots vont l’attraper, l’essorer et se noyer dans le sang. Non, l’idiot et le criminel aussi. Ils ne supportaient pas de la voir se transformer en corail.
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I1 meurt. On lui fait une tombe sur Facebook. Dix mille signatures, dix mille slogans silencieux pareils à ses cris que les murs de la geôle ont enfermés.
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Si tu gardes le silence maintenant, c’est comme si tu arrachais à un cadavre l’œil de son orbite et que tu essayais de me faire croire que sa tête est soudainement devenue le squelette d’un crâne.
In Maram al-Masri, Femmes poètes du monde arabe, © Le Temps des Cerises, 2012, p.151
QANDIL, Fatma
(Le Caire, Égypte, 1958). Fatma Qandil écrit en dialecte égyptien et en arabe classique. Outre une pièce de théâtre en dialecte (La Deuxième nuit après la millième) et un livre d’essais, elle a également publié plusieurs recueils de poésie depuis le premier paru en 1984 (Pour que l’on puisse vivre).
Notice parue sur le site de la librairie Compagnie
Contribution de PPierre Kobel
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