Quand des enfants font les singes devant une femme, fut-elle ministre, ils ne sont que les petits clones sans mémoire de parents qui se veulent bien-pensants et ne sont que les bâtards d'une foi avilissante, les tenants d'une morale qui rabaisse leur humanité, les prosélytes d'un ordre lâche et frileux. À cela, la poésie répond en allant du singulier à l'universel ainsi que le voulurent les poètes de la Négritude et bien d'autres avec eux.
Pour répondre aux insultes que subit Christiane Taubira à Angers, à la fin du mois d'octobre, nous vous proposons cette suite de textes.
Claude
Vigée
Chanson de l'oiseleur
Sauvage
oiseleur, chante et ris,
tu bois le sang du paradis.
Tes
faucons chassent la perdrix,
le geai, la grive et le courlis
-
Cruel oiseleur, chante et ris,
de chair d'anges tu les
nourris,
Subtil oiseleur, chante et ris,
comme un voleur tu
m'as surpris ;
sombre oiseleur, va-t-en d'ici
tu veux le
cœur et l'âme aussi.
Va-t-en d'ici, sombre oiseleur,
avec
tes faucons de malheur.
Ils ont saigné grèbe et
courlis,
surpris les merles sur les nids :
ils m'ont ravi
mon clair souci,
saigné le cœur et l'âme aussi.
Va-t-en
d'ici, bel oiseleur,
je reste seul dans ma douleur.
In L'homme naît grâce au cri, © Seuil, Points, 2013, p.105
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Aimé Césaire
version venin
les
combinaisons les plus variées nous ramènent toujours
à la
version d'un venin de feu ou même
à la vermine des
métaux
l'avenir étant toujours scellé aux armes de la
rouille
et du cachet des cendres
le décompte des décombres
n'est jamais terminé.
In La Poésie – Moi, laminaire…, Seuil, 2006, p.441
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Léopold
Sédar Senghor
Oubli
J'ai
oublié la mécanique des thèmes,
Les catéchismes récités
durant quinze ans.
J'ai oublié l'huile rance d'hier.
La
mer des prés m'attend.
La mer verte et son odeur de rosée,
La
mer fleurant des baisers d'enfant.
Et m'appelle
Le plongeon
dans l'herbe
Rejaillissant en rires sonores.
Mon corps
Où
s'ouvrent des bouches neuves
Filtre les courants des
fraîcheurs,
Des sons, des couleurs, des senteurs,
Toutes les
voluptés païennes
Loin de la rancœur des livres d'hier.
In Œuvre poétique, Poèmes perdus, © Seuil, Points, 1990, p.353
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André Laude
Je
suis ce sang
qui souvent se love
en véhémences colorées
je
suis ce sang
qui bouleverse
les plans d'états-majors
bouscule
les lampes
se faufile dans les veines
des prisonniers
et
murmure l'espoir
je suis ce sang
sans âge sans
répit
tournoyant dans les soleils
et les lunes
des paroles
urgentes
je suis ce sang
en forme de poignard
en forme
d'éclat d'aube
en forme de chanson
qu'on ramasse dans les
rues
comme un témoignage
d'un bonheur perdu
d'une félicité
possible
je suis ce sang
qui n'arrive jamais
en retard
au
rendez-vous
femme bourreau merveille
ombre
je suis ce
sang
qui cogne à la vitre
et demande asile
qui supplie une
chair
au coin de la rue
je suis ce sang
qui fracasse les
chaînes
qui enfouit
le miel
dans les blessures
je suis
ce sang
en forme de revendication
en forme de couteau
en
forme
d'azur et de neige pure
je suis ce sang
qui
inlassablement
tinte dans les ruelles
du sommeil
pour
réveiller ceux qui font
la sieste des consciences
je suis ce
sang
la branche fleurie
qui relie
l'oiseau à l'espace
In Œuvre poétique, Riverains de la douleur, © La Différence, 2008, p.451
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Francis
Bebey,
romancier, poète et musicien, né le 15 juillet 1929 à Douala au
Cameroun, mort à Paris en 1999.
Un jour tu apprendras
à Marcel Bebey-Eyidi
Un
jour, tu apprendras
Que tu as la peau noire, et les dents
blanches,
Et des mains à la paume blanche,
Et la langue
rose
Et les cheveux aussi crépus
Que la forêt vierge.
Ne
dis rien.
Mais si jamais tu apprends
Que tu as du sang rouge
dans les veines,
Alors, éclate de rire,
Frappe tes mains l'une
contre l'autre,
Montre-toi fou de joie
À cette nouvelle
inattendue.
Puis cet instant de gaieté à peine passé
Prends
ton air sérieux
Et demande autour de toi :
Du sang rouge
dans mes veines,
Cela vous suffit-il pour vous faire croire
Que
je suis un homme ?
La chèvre de mon père,
Elle aussi, a
du sang rouge dans les veines.
Et puis, dis-leur que tu t'en
moques.
Car tu sais, ils n'ont rien compris
À la farce
créatrice qui donna
Du sang rouge à l'animal et à l'homme,
Mais
oublia totalement de donner
Une tête d'homme à la chèvre de ton
père.
Vis et travaille
Alors, tu seras un homme.*
In Poètes d'Afrique et des Antilles, Anthologie de Hamidou Dia, © Éditions de La Table Ronde, 2002, pp.276/277
* Extrait d'Anthologie de la poésie camerounaise d'expression française, Paul Dakeyo.
Contribution de PPierre Kobel
Sachant que la poésie peut être une arme, j'aimerais manifester pleinement mon adhésion à cet actu-poème et par là ma condamnation des propos racistes ignobles, rapportés dans la presse et sur les ondes, adressés à des représentantes de l'état exerçant leur métier de ministre, qui sont par ailleurs des femmes, des épouses et des mères, qu'il s'agisse en France de Christiane Taubira, garde des Sceaux et ministre de la Justice ou en Italie, de Cécile Kyenge, ministre de l'Intégration. Cette dérive est intolérable et doit être dénoncée à chaque occasion. Merci de vous en faire l'écho.
Rédigé par : Roselyne Fritel | 13 novembre 2013 à 18:13