Actu-poème : des poèmes face à la violence

En République démocratique du Congo, les guerres incessantes font, comme à l'habitude, des victimes innocentes dans la population civile. Le viol est une arme de terreur, utilisée de façon concertée par toutes les factions qui se combattent. Depuis 15 ans le docteur Denis Mukwege opère des femmes, des jeunes filles et des fillettes détruites dans leur corps et leur esprit par les hommes. Il témoigne de ce qu'il voit et dénonce les causes de ces actes, s'exposant à la vindicte des barons mercenaires, des politiques et des potentats qu'il accuse. La poésie peut-elle quelque chose contre cette violence inhumaine et dégradante ? J'espère que les textes suivants seront une goutte d'eau qui s'ajoutera à d'autres réactions et finiront par éveiller suffisamment les consciences quand les médias ne sont qu'une lessiveuse sans mémoire.

Maria-Mercè Marçal

Comme si un requin tranchait ma main
et aussitôt la crachait sur la plage,
qu'elle agitait ses doigts sous la commande
de quelque force hors de ma volonté
et n'obéissait plus à mon cerveau
- telle la tête d'un coq décapité
qui ouvre et clôt le bec, et le corps fuit,
épouvanté, lointain et sans retour -,
je contemplais ce petit bout de moi
à tout jamais devenu étranger,
mais, à jamais, gravé, à cœur, à sang,
dans le désir cicatrisé, dans l'ombre.

In Trois fois rebelle, © Bruno Doucey, 2013, p.49

****

Grégoire-Roger Bokeme Sha ne Molobay

Souviens-toi que pour m'avoir imposé
un soir dans la rue une étreinte
tous les garçons du village
tournent le dos à mon passage

souviens-toi que le douloureux contact
de ton corps a réduit en poussière
ces pétales à peine éclos

Homme
Souviens-toi que pour m'avoir arraché
un soir au clair de lune ma fleur virginale
toutes mes compagnes
m'évitent à la campagne

Souviens-toi d'avoir versé
mes larmes
mon sang

Souviens-toi qu'un homme
souffrira un jour.

Kikwit, le 19 mars 1973

In Marc Rombaut, la poésie négro-africaine d'expression française, © Seghers, 1976, p.177

****

Jean-François Sené

                la mémoire
             est une chienne
                  aux crocs
                    ancrés
        dans la soie des rêves

                   elle rôde
       dans la nuit des chambres

         se glisse sous les draps
           geignant gémissant
            comme en gésine

                        et
         enfante des monstres
            dans le sommeil
                de la raison

In Pyro n°13, © Le Grand Incendie, décembre 2007, p.44

Internet

• Un reportage de France 24

• Un article du Monde consacré au docteur Mukwege

 

Contribution de PPierre Kobel