L'odeur des feux d'herbes, le lacet de la route (mais qui donc appareille et pour quel voyage,) ; le ciel très haut, d'un gris léger ; la prudence de la poule faisane à la lisière des maïs ; une sèche détonation, à nouveau le silence malgré les oiseaux sur les fils multiples.
C'est la parenthèse d'un automne accompli. Distraitement on feuillette les pages d'un livre afin, peut-être, de prolonger l'arrière-saison ; l'esprit tout occupé par cette clarté qu'on sait précaire et qui se dissout en imperceptibles déplacements. Le coin du voile s'épaissit, un peu plus, chaque jour. Les parenthèses ont tendance à s'écarter pour absorber un monde plus hivernal où comme dans un entonnoir viendraient pêle-mêle se déverser des courants venteux, des bourrasques de pluie, des torches d'obscurité et la blancheur incisive du flot. (…)
In Le jour contemporain © Éditions Folle Avoine 1998, p.15
Si Michel Dugué excelle à peindre les étapes de cette plongée dans l'automne, derrière ce décor se profile un autre automne, celui de la vie confrontée à la solitude, au deuil et à cette soif intarissable, qu'expriment les tout premiers vers du recueil, imprimés en italiques :
Aucun
de nous
ne tient seul
Il lui faut outre les os
une
parole – fût-elle économe.
Alors le jour contemporain
s'éclaire
un peu.
Ibid p.9
Des poèmes brefs tentent au long de ce recueil de dispenser cette parole.
Si
peu de clarté.
Et pourtant, dans le jour
même le plus
exténué,
un dé de lumière : l'infime
braise revêtue
d'un feu
bas.
Ibid p.29
****
C'est
une eau claire
que la trille d'un oiseau
Une source qui
s'interromprait
ménageant une ouverture
non dans la
pierre
mais dans l'esprit.
Ibid p.31
****
Il
y a le temps de la pluie, celui
du feu des vents
le temps de
l'enclume des nuages
et de la barre
de ciment de la mer.
Mais
en chacun brûle une écuelle de
lumière
Nous ne l'aurons
appris que tardivement
sous l'effet d'une erreur ancienne.
Ibid p.33
Ailleurs, dans le souci de nous « éclairer », Michel Dugué décrit avec une sensibilité toute particulière landes, îles, presqu'îles ainsi que les multiples visages de la pluie. Le fait qu'il soit breton, né à Vannes et vivant en Ille et Vilaine, y est sans doute pour quelque chose, mais son écriture, toute en nuances ne se borne jamais à la simple description.
Guetter
l'oiseau sans fléchir,
qui d'un coup d'aile
franchit
l'océan.
L'avoir chaudement
en sa paume,
le
corps battant.
Atteindre ainsi au poème.
Le savoir de
sable
fluant entre les doigts.
Ce qu'il nous reste !
In Une escorte très nue, © Éditions Folle Avoine 1983
****
La
pluie, pareille à elle-même
en toute parcelle de la
contrée,
essaime ses sources mitoyennes.
Progresse comme le
désert
à force de répétitions,
occupant, ainsi, sans
gêne,
l'espace entier,
témoignant, parfois, d'une
prédilection
pour les toitures où elle bat avec
la régularité
d'un métier à tisser
Ibid
****
XXI
La pluie accourt de l'ouest. Elle a dû aborder la presqu'île avec la vigueur du fouet. Elle avance par rangs serrés. Haletant juste un peu dans son désir de croître. Elle laisse sous elle une lumière pâle qui parfois s'emmêle à ses plus hauts moments. Et pareille à une torche va lessiver les nuages. L'eau rejoint l'eau. Le visage est une rigole de larmes. L'homme s'en est fait un masque. (…)
In Éléments, formes, nuages © Dana 2000
Au milieu de cet univers fluide, les solitaires cherchent à « rassembler la vie dans une sorte de vibration tranquille », à « réactiver la braise », « dans l’entrebâillement furtif du jour », car « l'eau n'est pas avare d'étincelles. »
La pluie éclaire
La pluie est cette clé qui nous ouvre la contrée avec une attention jamais démentie et un mouvement d'oscillation qui confine à la prière. Si elle se laisse emporter dans un élan un peu rude, ce n'est que l'effort pour mieux se rassembler afin de revenir à la calme maîtrise d'un espace qu'elle sait être le sien.
In Les Alentours © Éditions Folle Avoine 2005, p.21
****
La
pluie n'aura livré
qu'une éclaircie, un tremblement
de l'air,
une hésitation limpide,
un frissonnement vite réprimé.
Elle
aura glissé sous les linges
une humidité passagère
Ibid p.22
****
Nous
sommes toujours
entre deux pluies.
Le soleil
verse
plusieurs fois par jour
une mesure de lumière
que
chaque fois nous buvons
avec le souci
de n'en rien perdre.
Ibid p.23
Au fil des lectures, d'autres images, toujours dans cette thématique de pluie, sont frappantes, j'en retiendrai trois, qui balisent l'horizon.
L'air,
lui, hésite
entre la pluie et le vent.
In Le jour contemporain © Éditions Folle avoine, 1998, p.16
Cette impression de chemin qui va dans le cri des oiseaux
ibid
p.17
Ce nid de silence où tu pourrais parvenir à te concentrer, à te ressaisir pour œuvrer
ibid p.18
Se « ressaisir pour œuvrer », un exercice quotidien, qui légitime à lui seul l'existence du poète.
Ainsi en est-il des poèmes, dédiés à Jeanine, parus sous le titre de Nocturnes dans Poésie Partagée, ouvrage collectif, publié en 1984 par les éditions Folle Avoine. Ces poèmes tiennent lieu d'escorte en terre de solitude.
II
Et
toi, marchant
dans l'ombre qui s'engrange.
De toutes
rumeurs,
tu gardes celle
du flot ressassant
la plainte
antique.
Et toi, conservant
de l'été
ces mêmes
bruissements d'élytres,
tu appuies la mémoire
à ses recoins
d'ombre.
Je sais !
De la brume peut surgir une
île
mais il faudra y marcher comme si le flot
continuait.
In Poésie Partagée © Éditions Folle Avoine 1984
****
IV
Il
y a ce moment
impossible à dire et qui sera,
cependant, d'une
précision certaine.
Nous l'avons, dès la naissance consigné
en nos
livres. La lande nous l'apprend, la mer nous le
rappelle,
le cri plaintif de la mouette nous y trans-
porte parfois.
Mais
nous demandons
si la longueur des nuits
n'infléchit pas le
temps.
Ibid
****
XV
Ce
que tu fus,
le vent peut en parler
quand il rameute sous la
soupente
les bruits de la maison.
L'ombre les
recouvrait.
Elle te semble aujourd'hui
plus tenace, plus
durable,
même si parfois, du lieu très reculé, la rumeur
de
la mer
éclate comme un fanal.
Ibid
Dans Le salut à l'hôte, paru en 1989, on retrouve la même volonté de dépassement et la même rigueur dans le combat pour la vie, passant par l'acceptation du deuil.
Mesure
ton effort
puis saute –
saute comme jamais tu ne l'as
fait.
N'aie crainte
tu ressortiras plus gracile
et si
les dernières pierres
te sont exténuantes. L'hôte te tendra
la
main secourable.
En aurais-tu besoin ?
Toi venu du
deuil.
In Le salut à l'hôte © Éditions Folle Avoine 1989
****
Combien
de matins faudrait-il
afin qu'avec lui
tu
parles
jusqu'à la transparence native ?
Ne désires-tu
pas le trop
au risque de manquer
le peu ?
Ibid
****
Qu'importe
cette fragilité du poème issu du blanc et
y retournant après
avoir été si peu écouté.
De cette fragilité, il retire la
force même du retour.
Ibid
La question initiale était :« pour quel voyage » ? Michel Dugué n'a cessé de tenter d'y répondre. C'est article dans La Pierre et le sel s'en veut l'écho.
La
mort passera. Nous reviendrons à notre ouvrage.
Rien ne sera
dérangé. Nous entamerons le vrai
voyage du temps. (...)
Ibid
****
Afin
que tu partes confiant, l'hôte te rappellera
l'évidence :
« La
mer toujours se referme »
Ibid
Bibliographie consultée
-
Une escorte très nue © Folle Avoine 1983
-
Poésie Partagée © Folle Avoine 1984, ouvrage collectif
-
Le salut à L’hôte © Folle Avoine 1989
-
Le jour contemporain © Folle Avoine 1998
-
Éléments, formes, nuages © Dana 2.000
-
Le Chemin aveugle, récit, © Apogée 2002
-
Les Alentours © Folle Avoine 2005
Sur internet
-
Michel Dugué sur le site de lieux dits avec textes et photos
-
tiens, etc : portrait de Michel Dugué par Jacques Josse
-
un article de Michel Dugué sur J.Paul Hamery sur Poezibao
Contribution de Roselyne Fritel
Commentaires