C’est bien peu dire que je me vois encore à vos côtés suivant ce chemin de pierres et de terre comme si nous allions vers autre chose que lui-même
In Azadi, © éditions Dumerchez, 1995, page 84
Ces paroles sont extraites du recueil du poète Yves Jouan Azadi, paru en 1995. « Azadi » signifie en langue kurde « liberté ».
Yves Jouan naît en 1951 en Seine Maritime. Enfance normande (Le Havre, Rouen), puis émigration vers la région parisienne (Paris, La Courneuve), la Bretagne (Saint-Brieuc). Il vit actuellement en Anjou.
Yves Jouan, militant communiste pendant vingt ans (1973-1993), a une vie professionnelle, principalement culturelle, assez diversifiée. Secrétaire parlementaire de Roland Leroy, directeur des affaires culturelles en Normandie (ville de Canteleu), fondateur de la Ligue de l’enseignement « les Littératures de l’engagement » de Saint-Brieuc, participation à la création de l’association « Deux peuples, Deux états » engagée dans la recherche de la paix entre israéliens et palestiniens.
Les poèmes suivants sont principalement extraits du recueil Azadi. Ils se présentent comme des notes de voyage brèves, mais ce sont des instants de saisie de vie et de souffrances d’un peuple en quête de liberté qui s’imposent à son regard de poète :
les lieux ont subitement pris un âge démesuré notre siècle nous offre ses ruines et pose entre lui et nous un masque de millénaire des fils sans électricité entourent un morceau bleu du ciel d’une chevelure raréfiée y aurait-il quelques mots sur une enseigne épargnée comment donc les faire jouer ensemble quand rien d’autre ne sort de terre que les os disjoints du pays
In « Azadi »,© éditions Dumerchez, 1995, page 17
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archéologue penché sur notre temps je me prends à chercher sans tellement le vouloir ce qui pouvait se faire ici une chaise dans les décombres guide un moment ma soif de mémoire une plaque sur un mur me restitue le nom d’une rue il y avait des jours de marché des nuits éclairées par un lampadaire devenu fantôme
ibid, page 18
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les survivants portent un deuil sans autre visage que les leurs un tel pourtant y reste sans doute gravé
les sillons de ses traits ont creusé le silence ils creuseront bientôt les mots le portrait n’aura pas de bois pour le figer
ibid, page 22
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quel silence me prendra de nouveau saurai-je prêter l’oreille aux fragiles conversations du jour, voir s’allonger sur lui les ombres de la veille saisir dans le moment cet autre pas d’un aller décidé entr’aperçu un soir d’été
ibid, page 25
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la pierre ne garde plus qu’une bouche édentée grande ouverte sur la souffrance est-ce possible que toute parole ainsi soit de sable on n’y voit plus bientôt qu’une empreinte de botte en marche vers sa proie
ibid, page 27
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on ne peut plus saisir le fond de tout cela n’est-ce pas ma voix que j’entends mon sang sous le flot des tortures et mon propre cri pour aveu suis-je maintenant autre chose que le présent, l’avenir et la promesse d’une épouvante
ibid, page 28
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elle aura bien plus qu’aujourd’hui cette chose moins saisissable une musique sans autres portées que nos vies et nous serons un jour avec elle ce murmure discret
ibid, page 33
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laisse-moi écouter sur ton visage à découvert dans le déroulement de ton voile ce flot de paroles tant d’années captives mais dans tes yeux rien ne l’était rien ne s’arrête
ibid, page 44
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de l’une à l’autre de ses lèvres une seule parole s’entre-dit son regard donne – le sait-elle ? – la direction de son destin quelle paix y fait déjà sa place inattendue
ibid, page 54
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elle est l’arbre poussé aux abords de Dersim, suffisant pour ciseler un morceau du ciel sur les toits et nous donner le babil d’un vent inaperçu écoutez avec elle ce que je ne dis pas
ibid, page 56
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quelle main inoubliable a su prendre la mienne ai-je mis mes pas dans les vôtres à vos noms me semble-t-il d’autres noms font écho jusqu’à me donner avec vous ce moment d’aurore au plus sombre du jour
ibid, page 76
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nous garderons à portée de nos mains levées devant leur incursion nocturne ce territoire parallèle
en moi, en nous ce temps multiple qui semble ici donner leur sens aux voies humaines
ibid, page 83
Peau sur quoi le vent
ne trouve
pas broussaille
Porte lentement fermée
Rien du monde
n’aura ton accord
Parle
et regarde comme
la forêt prend feu
In Internet « Terre à Ciel » - « Chemin de L’Iris » éditions Dumerchez 2000
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c’est si peu dire de ce voyage en moi qui continue les jours s’y font à voix haute à voix basse je les gravis comme si je découvrais un autre versant du silence et de la parole
In « Azadi », © éditions Dumerchez 1995, page 87
Yves Jouan, poète à l’écoute du monde, a organisé et animé ateliers d’écriture, conférences, lectures dans diverses villes françaises. Les milieux carcéraux, scolaires, universitaires, hospitaliers lui sont particulièrement chers. Il a également fait connaître ses textes hors de nos frontières. Ses poèmes ont été traduits en anglais, russe, japonais, coréen, albanais, grec, russe, néerlandais.
En 2000 il reçoit le prix Antonio Vivaro et en 2006 le prix Yvan Foll.
Dans le n° 53 des « Cahiers de Poésie Rencontres » on peut lire en hommage à Yves Jouan :
L’écriture devient alors « tension vers ce qui lui est extérieur, vers ce qui est sans elle », sans rechercher pour autant la fusion. La grande beauté de cette poésie est son humilité.
Yves Jouan, membre de la Société des gens de lettres et de la Société des auteurs compositeurs dramatiques contribue à la revue de poésie N4728.
Bibliographie
Poésie
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Azadi © éditions Dumerchez, 1995
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Au point de tous, idem, 1997
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Mines, © éditions Les petits classiques du Grand Pirate, illustré par Michel Mousseau, 1998
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Chemin de l’iris, © éditions Dumerchez, 2000
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Jours mêlés, © éditions l’Inventaire, 2003
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Juste là, © éditions Dumerchez, 2006
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Pas d’elle (à paraître) avec Sido
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Expérience des lieux (à paraître)
Divers livres d’artistes, nouvelles, essai
Émission radiophonique
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L’autre bout du monde, réalisation : Étienne Vallès, France Culture, 1996
Internet
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Une recension dans Poezibao
Contribution de Hélène Millien
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