Revue annuelle franco-anglophone de poésie contemporaine, de traduction et d'art visuel, elle fut fondée en 1983 par Jacques Rancourt, qui la dirige encore. Sa création va de pair avec le Festival franco-anglais de Poésie, dont il a pris la tête en 1977.
Sur le choix du titre, il dit en souriant : la Traductière, comme la cafetière fait du café.
Né en 1946, à Lac-Mégantic, au Québec, Jacques Rancourt possède la double nationalité canadienne et française et vit à Paris depuis 1971. Il est titulaire d'une maîtrise de Lettres à Paris X, sur la jeune poésie française dans la Revue Le Pont de l'Épée et d'un doctorat en Sorbonne sur la Poésie des Antilles de langue française.
En tant que poète, il publie, à partir de 1974, une bonne vingtaine d'ouvrages, recueils personnels, essais ou anthologies consacrées à la poésie contemporaine, et mène parallèlement, avec la revue, un travail de passeur de poésie, de traducteur et de créateur de passerelles entre poètes, peintres, et cinéastes.
À partir de 2001-2002, dans le souci d'aller de l'avant, d'innover, – la création + la recherche, dit Jacques Rancourt – un thème est fixé en première partie de chaque numéro. Poètes invités et artistes graphistes travaillent spécialement pour l'occasion. Une seconde partie est réservée à l'analyse et la réflexion, à partir du thème choisi. Dans le même temps, la revue s'ouvre à d'autres langues, espagnol, catalan, italien, japonais, chinois, malais etc… Vous imaginerez sans mal la multiplicité des voix, la richesse de l'inspiration et l'inventivité du tout.
Voici quelques uns des thèmes traités : Le bel aujourd'hui, en 2002, La trace et l'oubli, en 2004, Trouver le nord, en 2006.
Le sommaire de chaque numéro se présente ainsi : un éditorial de Jacques Rancourt suivi des poèmes, essais ou analyse sur le thème fixé, une rubrique avec des notes de lecture, et la notice biographique des auteurs, poètes, peintres et graphistes.
Le thème du numéro 29, paru en mai 2011, étant Les champs de la parole, Jacques Rancourt présente, en introduction, la démarche :
Les réponses qui nous sont venues et que nous avons rassemblées ici sont de trois ordres : celui de la création d'abord, avec une quarantaine de poètes qui se sont lancés dans l'exploration d'autres champs de la parole ; celui de l'analyse ensuite, par laquelle Marie-Andrée Lamontagne s'est penchée sur la moisson obtenue pour en dégager à la fois la diversité et les lignes de convergence ; celui enfin de la réflexion, par laquelle cinq poètes et essayistes, à la lumière de leur propre expérience et de leurs lectures respectives, ont examiné de plus près les rapports entre poésie et autres discours humains.
Parallèlement à cette recherche du coté de l'écriture, nous avons demandé à des peintres et graphistes de puiser quant à eux du coté de l'image, et plus précisément de choisir dans l'histoire mondiale de l'art des œuvres auxquelles ils souhaiteraient donner un « écho graphique ». Voilà donc l'origine des œuvres présentées ici. Par le jeu de la publication, si l'on souhaite pousser le regard jusque-là, on verra qu'elles s'inscrivent dans un double écho : écho à l’œuvre ou à l'artiste de référence, et écho au texte auquel elles se trouvent associées, avec lequel s'engage de facto un éclairage réciproque.
La poésie est parole humaine, l’œuvre d'art en est une autre, ensemble elles nous plongent au cœur de l'être humain, ensemble elles fouillent son mystère, dont les frontières sous leur regard s'éloignent chaque fois un peu plus.
Témoins de cette vitalité, des poètes français aux noms familiers, pour ne citer qu'eux, Max Alhau, Gabrielle Althen, Anne Bihan, Danièle Corre, Brigitte Gyr, Mireille Fargier-Caruso, Françoise Hàn, Claude Held, Jean Miniac, Cécile Oumhani, y figuraient. Leurs textes voisinent avec ceux de poètes et d'artistes étrangers d'horizons élargis et divers.
Ce numéro fut présenté à l'Espace Reverdy de l'Université Paris X à Nanterre, le 4 novembre 2011, en présence de plusieurs d'entre eux et de poètes anglais, membres du Festival.
Citons pour commencer un poème de Cécile Oumhani, qui me fit découvrir, ce jour-là, la Traductière. Il s'accompagne de sa traduction anglaise, due à Anthony Hubbard et d'un collage de Vladimir Nikolaevsky, peintre, graveur, designer et éditeur russe, en hommage à Olga Rozanova.
Habits
Regards enlisés dans la brume
ils s'abîment sur l'asphalte
où cognent tant de pas inconnus
l'étoffe rien que l'étoffe
plis et replis douillets à souhait
tu tailles tes lainages marques à la craie
les pièces de tissu coupées à l'aune de tes rêves
bâtis-les patiemment d'un fil blanc bien visible
puis assemble raccommode
ce que le temps et les autres ont éraillé
pique de ton aiguille et repasse d'une main ferme
l'ampleur dont tu vas t'envelopper
forte des nuits et des songes
dont tu as tissé ton vêtement
un dé rempli d'espoir pour pousser ton aiguille
In La traductière Les Champs de la parole n°29, p.82
Les gravures ou dessins d'artistes, qui, réalisés en écho à une œuvre d'art connue, s'intercalent entre les poèmes, créent ainsi de nouvelles passerelles, dont voici quelques exemples :
Le poème de Gabriel Althen, au ton précieux, figure en vis à vis d' Autoportraits d'artistes, collage, sérigraphie, or et pastels de Sarah Wiame, inspiré d'un tableau de Van Eyck de 1433.
Note sur le temps personnel et cosmique
Le temps s'en va, me disait-on, le temps s'en va, Madame,
Et l'angoisse de passer ne voulait plus passer...
Nous savons bien aujourd'hui que le temps sentimental
Et celui des galaxies ne se rejoignent pas.
Considérez encore, Madame, qu'a été démontré
Que si ni le passé ni le futur ne sont
Votre présent n'en gagne guère en étendue
Et vous en êtes à sautiller toujours sur ce beau pointillé
Il apparaît encor que le temps est virtuel, aussi virtuel – ce n'est plus en question,
Que tout l'argent que vous serrez dans votre bourse.
Séchez vos larmes, Madame, et rangez loin vos angoisses
Le temps n'existe pas, vous ne vieillirez pas et donc amusez-vous, Madame.
Vous noterez encore que le temps comme l'argent et la matière
En quoi vous placiez autrefois votre confiance et vos défiances
Ne sont qu'une illusion des sens
Qu'aucune observation plus poussée ne pourra valider :
Le temps ne s'en va pas, Madame,
Observez donc que c'est vous qui passez.
In Les champs de la parole, La traductière n° 29, p.18
Ailleurs, une gravure de Bernadette Genoud-Prachet, à pour titre : Bois parlants de l'Île de Pâques. Elle imite le graphisme de cette écriture, devenue intraduisible, et accompagne un texte de Claude Held à l'étonnant phrasé dyslexique, que recréé en langue anglaise Patrick Willamson, poète et traducteur anglais. En voici, à la page 60, un court extrait, dans les deux « langues ».
Soliloquaubordunlac
toumonpossible…pourêtrici…
vinquatreursurvinquatre…
****
Muzin'besidalaik
evrifingposeble…tob'ere…
twennefo'outta'twennefo…
On notera les multiples sensibilités requises par ces traductions multiples. Ainsi du poème de Yi Sha, poète chinois, qui revêt la forme d'un idéogramme et est ensuite traduit en anglais par Simon et Tao Naikan, puis transposé de l'anglais au français par Jacques Rancourt.
Ibid p.p.108/103
Voici pour conclure le poème, d'un humour ravageur, du créateur de la revue , Jacques Rancourt, poème traduit en langue anglaise par le canadien Donald Winkler.
Promotion
Je vous prie d'agréer mes félicitations
les plus profondes et les plus sincères
pour votre nouvelle promotion
Il n'a pas dû être facile d'écarter un employé sur deux
même avec un objectif déclaré de deux sur trois
tant la matière humaine offre de résistance
L'économie présente et votre encadrement
vous en sauront c'est sûr un gré très appuyé
au moins jusqu'à la prochaine vague
Qui sait vous aurez peut-être ensuite tout loisir
pour réfléchir in vivo aux aléas de la condition laborieuse
à même vos allocations chômage
y compris incidemment jusqu'à leur extinction
ibid p.86
La Traductière a fêté ses 30 ans, en avril 2012. Voir sur Recours au Poème l'article qui fait l'éloge de ce numéro. Le thème en était L'attention poétique, avec un dossier nourri sur les poètes de Singapour.
Le numéro 32, à paraître, aura pour thème Le Poème comme fiction, poèmes et essais, avec la participation de 7 poètes chinois, plus un article sur Traduire la poésie chinoise.
Internet
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Jacques Rancourt poète sur le site de la Maison des écrivains avec des extraits de ses poèmes
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Un article sur Recours au poème
Contribution de Roselyne Fritel
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