Quand Rimbaud commence son poème Le Cœur volé par ces deux vers, qui n'ont rien de ce que l'on a coutume d'appeler un sentiment ou un sujet poétique :
Mon triste cœur bave à la poupe
Mon cœur est plein de caporal
peut-être aurait-il été lui-même surpris qu'il puissent être choisis en exemple, cependant je prétend y trouver l'appui de ce que j'avance. – Il n'y a là rien d'extraordinaire, rien d'exquis, de précieux, simplement l'expression d'un malaise que quiconque peut s'être mis dans le cas d'éprouver pour avoir trop fumé étant jeune – ou pour avoir pris le bateau par gros temps – et difficile à dire honnêtement. Il n'en reste pas moins que, depuis que le monde est monde, et il y a longtemps – bien plus que ne le pensait La Bruyère – et parmi les milliards d'hommes qui se sont succédé sur cette terre – et ça fait beaucoup, il n'y en a qu'un qui ait exprimé une chose aussi vulgaire avec autant de simplicité, de force et de bonheur, et c'est Rimbaud. Notre cœur, qu'avons-nous de plus précieux en nous que cet organe. Imaginez à présent que plusieurs hommes réunis autour d'un même baquet y aient laissé tomber par mégarde, leur précieux cœur et que, restés vivants par un coup de magie, ils essaient vite de retrouver chacun le sien pour pouvoir s'en aller. Impossible, même poids, même forme, même aspect – des cœurs de chair, des cœurs d'hommes enfin – absolument interchangeables comme les deux billets de mille de tout à l'heure sur la table. Mais alors, parmi ces cœurs communs, il en reste un qui se met à parler et qui dit : Mon triste cœur bave à la poupe…
Pardon, dirait Rimbaud, celui-ci est le mien ; Car tout ce qui reste du cœur d'un poète, c'est ce que lui-même en a dit.
In Sable mouvant, Essais, Cette émotion appelée poésie, © Poésie /Gallimard 2003, p.p.99, 100
En effet, dans ce même recueil, figure, Tard dans la vie, une bien belle manière de parler d'un cœur de poète.
Tard dans la vie
Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
À rêver sans dormir
À dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte accroché au plus haut des entrailles
À la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
Ibid p.87
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Contribution de Roselyne Fritel
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