À l'heure où un homme politique se fait le contempteur d'un livre pour la jeunesse qui n'a rien de scandaleux, ni dans son intention ni dans son objet. À l'heure où dans le seul but de racoler quelques voix supplémentaires, les politiques utilisent les médias sans aucune vergogne et pratiquent un prosélytisme moral du plus bas étage, participant ainsi à la dévalorisation grandissante de l'intelligence, nous opposons encore la parole poétique, aujourd'hui les voix de César Pavese et de Jean Sénac.
César Pavese
Rêve
Ton corps rit-il toujours sous la caresse pénétrante
de la main ou de l’air, retrouve-t-il dans l’air
d’autres corps quelquefois ? Il en resurgit tant
d’un frisson du sang, d’un néant. Le corps qui s’étendit
près de toi, te cherche lui aussi en ce néant.
C’était un jeu léger de penser qu’un jour
resurgirait la caresse de l’air, souvenir
jaillissant tout à coup du néant. Ton corps
s’éveillerait un matin, amoureux
de sa propre ferveur, dans l’aube déserte.
Un souvenir pénétrant te parcourrait
et un sourire pénétrant. Cette aube revient-elle ?
Cette fraîche caresse se serrerait
contre ton corps dans l’air et au cœur de ton sang,
et tu saurais alors que l’instant de ferveur
dans l’aube répondrait à un autre frisson,
frisson né du néant. Tu le saurais
comme en un jour lointain tu savais
qu’un corps s’étendait près de toi.
Tu dormais légère
sous un air rieur de corps fugitifs,
amoureuse d'un néant. Le pénétrant sourire
te parcourut figeant ton regard de stupeur.
Cette aube, n'est-elle plus revenue du néant ?
In La mort viendra et elle aura tes yeux, © Poésie/Gallimard, p.255
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Jean Sénac
G…
Cette prise du corps non comme une bataille
Mais comme si la mer s'engouffrait dans l'entaille
Où l'âme scintillait de girelle et d'oursin.
Et ce rêve arrondi : mon poème ou ton sein ?
Je ne sais plus. Le verbe au remblai des bavards
Est ce silence aigu de la chair en son dard.
Les murs eux-mêmes sont ce livre où tu m'inventes
Tandis qu'entre nos bras mille planètes ventent.
Je t'aime et je voudrais que les mots soient précis
Comme ta peau à l'heure où l'univers dit oui.
14 juillet 1966
In Œuvres complètes, © Actes Sud, 1999, p.452
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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