l'eau a reculé vers le ciel
sans que personne ne la retienne
que restera-t-il quand elle aura pris son envol
seul un lac noir et pour caresse le vent
in Faoug, L'estuaire © Cheyne 2013, p.11
Faoug, recueil de Gaia Grandin, vient de recevoir le Prix de poésie de la Vocation 2013. Décerné par la Fondation Marcel-Bleustein-Blanchet, présidée par sa fille Elisabeth Badinter, ce prix est remis chaque année, depuis 1984, à un jeune poète de moins de trente ans.
Faoug est le nom d'une commune des rives du lac Morat, située au pied des montagnes, dans le canton de Vaud.
tout au fond perspective d'une montagne
qui sans bouger avale les couleurs du ciel
c'est ainsi qu'elle est arrivée
à faire de l'ombre au lac
ibid p.23
Il semble qu' « une obscurité dense », faite d'ondées et de « pluies abruptes », ait envahi le ciel tout au long des 46 poèmes brefs, répartis en trois parties : l'Estuaire, l'Isle et l'Estran.
C'est la pluie qui toujours réveille la mémoire précise la phrase de Kenneth White, placée en exergue du recueil.
Une navigation intime et nocturne, qui ressemble à une quête, commence sur un voilier de fortune, nommé La Disparition.
Un lever de nuit diffus
plombé des longues heures
passées à ramasser des coquillages
sur une crique sans nom
avant de garder longtemps
les yeux fermés en plein jour
à ignorer les fossiles
ibid p.14
****
à chaque réveil remettre l'eau
les vagues l'air et tout en haut
un ciel différent d'hier
et toujours la rive
à la même distance
ibid p.18
À force d'immersion totale, le corps lui-même devient une voie d'eau, et l'écriture une issue possible.
via les corps faire voyager les mots
ceux restés là après la traversée des flots
accrochés au fond de la gorge
les laisser couler rejoindre par l'estomac
le flux des battements
écho des pagaies
ibid p.22
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les solitudes remontent le courant
rebroussent là d'où elles viennent
au passage elles glacent les pensées
l'encre colore l'échine de noir
ibid p.26
****
une pluie abrupte m'éveille
au centre de l'espace
une obscurité dense
alors que j'avais craché au ciel
le serment d'aucun réveil
ibid p.28
****
la nuit la pluie est tombée
les gouttes ont disparu
et ce matin en voyant
le visage de l'eau lavée
j'ai su que le souvenir est bien réel
ibid p.29
Cette dernière phrase vient confirmer les vers de Kenneth White, mis en exergue, et nous réconcilie avec le réel. La seconde partie, l'Isle, s'annonce plus positive, s'y dessine un chemin. En réponse à l'attente, elle offre, semble-t-il, un lieu accueillant. Impression hélas fugitive, la dernière apparition n'a rien de rassurant.
au lieu-dit Franges du silence l'ombre sert de chemin
à fixer l'horizon dans l'attente d'un rivage
une impossible forêt forme un îlot accueillant
In Faoug, l'Isle, p.42
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d'un désert d'arbres muets qui me dévisagent
mystère exempt de pudeur
je glisse ces mots dans la bouche du silence
ibid p.45
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à l'intérieur –
parmi tous les non-dits
la phrase lézarde l'espace
noir profond éclair
à l'intérieur de l'intérieur
soudain zigzague
la peur des ciels solides
qui tient par les cheveux
tête renversée et
bouche ouverte
prête à crier
ibid p.46
****
se débattre entre deux eaux
inspirer à pleins reins ce sanglot vif
avant de plonger à nouveau contre les aspérités
qui pèsent sur mes paupières
la résine petit à petit recolle ma langue
ibid p.47
****
alors ouvrir les yeux brusquement
et dans un recoin
sursaute l'animal
je ne vois que ses yeux
puis la pénombre puis
elle se tient debout et danse
ibid p.48
Cependant, une île sous-entend immanquablement l'opportunité de prendre le large, sinon elle serait prison.
Le troisième volet se nomme l'Estran, mot qui désigne des lieues de grève, qui ne sont pas constamment immergées, mais s'offrent régulièrement à la pleine mer. L'aspiration à se « désembourber » est la plus forte. Le jeu mortel s'achève.
laisser l'eau envahir l'enveloppe de peau
couler dessus sans pénétrer les fentes
les trous les failles
bientôt le lac sera trop froid
alors sur la plage de Faoug
je ramasserai la coquille vide et la lancerai à l'eau
elle coulera sans résistance
in Faoug, L'estran, p.51
Avec ce geste libérateur, voici venue la fin d'un « reportage mouvant. »
« Chaque nouvelle eau est mer », écrit-elle, page 52. « Marée haute de souvenirs, appel du large dans l'éclat des vagues, renflouer La Disparition à même la marée » sont autant d'échappées et de projets.
Elle, « prête à prendre le large », sans poursuivre davantage, achève là son recueil.
le vagissement des bateaux
prêts à prendre le large
à l'intérieur d'un quadrillage
retrouver les horizontales et les verticales
fidèles à la personne articulée sur l'île
elles gisent toutes dans un autre monde
ces phrases
qui veulent dire qui veulent dire
ibid p.57
D'une aventure intérieure douloureuse, la jeune poète a su faire œuvre d'écrivain, dans un livre, qui garde tout son mystère et sa force.
« Toute la forme d'une œuvre est dans ce que l'écrivain sait suggérer d'innommable », écrit Marc de Smedt dans Éloge du silence, paru chez Albin Michel en 1989. Ces mots conviennent parfaitement à ce premier recueil de Gaia Grandin.
Sur l'auteur
Contribution de Roselyne Fritel
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