Quand l'âme eut froid
Mon cœur ouvert de toutes parts
Et l'effroi du jour qui pleure
D'un mal sans fin mourant trop tard
Je ne fus rien que par hasard
Priez qu'on m'enterre sur l'heure
On reverra dans le brouillard
Avec ses maux et ses années
Le roi qu'il fut dans la fumée
D'un feu qui n'était nulle part
Sa mère avait des yeux d'eau vive
Il reviendra dans le brouillard
Le cœur ouvert par trois poignards
Vidé par les lunes oisives
Mais les ans passent sans nous voir
L'aube naît d'une ombre où l'on pleure
De quoi voulez-vous que l'on meure
La nuit ne sait pas qu'il fait noir
Tout est passé pour nous revoir
Nos pas reviennent nous attendre
On rouvre la classe du soir
Où l'on attend le roi des cendres
J'ai cru le voir dans un miroir
Qui m'est resté de mon enfance
Un chant de source était devant
Qui m'a bercé jusqu'au silence
Et je le suis jusqu'à l'absence
Mon corps s'ouvrant à tous les vents
A bu le froid dans l'eau d'argent
D'un cœur noir qu'il est las d'entendre
Tout est trop beau pour être vu
Un amour plus grand que l'espace
Ferme les yeux qui ne voient plus
Et l'ombre que sa forme efface
Mendiant son pas mendiant sa place
Au jour mort d'un rêve pareil
Dira des ombres qui la suivent
Ma vie avait des yeux d'eau vive
Passé prête-moi ton sommeil
In La Connaissance du soir © Poésie/Gallimard 2008, p.76/77
À Carcassonne, rue de Verdun, Joë Bousquet, grand blessé de la Grande guerre et paralysé à vie, passe le reste de son existence dans sa chambre, obscurcie par des rideaux opaques et enfumée par l'opium. Il y tient salon, écrit et lit, la poésie lui tient désormais lieu d'univers. Il meurt dans la nuit du 27 au 28 septembre 1950.
Internet
- Joë Bousquet sur Esprits nomades
- Sur le site des éditions Verdier
Contribution de Roselyne Fritel
La der des ders
De quatorze à dix-huit bien des âmes ont souffert
êtres de tous les horizons habitant de la terre,
prisonniers de trous où même des bêtes ne résideraient pas
Ils ont vécu la faim, la vermine et l'effroi
dans des gabardines aux coutures de vase,
combien de braves ont laissé leur fraîcheur ?
mordus, torturés par des émanations de gaz
mutilés dans leur chair jusqu’au bout de l'horreur.
Dans l'odeur pestilentielle de sang et de mort
pour s’accrocher à la vie, la correspondance était réconfort
une lettre en retour atténuait pour un instant l’indigence,
la noirceur des lieux désertés d’espérance.
Cent ans plus tard, dans ces terres à jamais meurtries,
la vie peine encore à se reconstruire,
la verdure posée çà et là n’arrive pas à étouffer
les cris retentissants de ce conflit fratricide qui,
commencé d’un crime, en engendra des centaines de milliers.
Armand Voss
Rédigé par : Armand Voss | 19 juillet 2014 à 11:55
Quel joli texte , je l'avais déjà lu , mais je ne m'en souvenais plus , merci de l'avoir mis en ligne car c'est vraiment là un vrai bonheur pour tous ceux qui aiment la poésie .
Rédigé par : Moietmoi | 10 février 2014 à 12:13