L'éphémère nous travaille. Ton corps en pièces. Ton corps à restituer, à quoi, à qui ?
In Mots de passe © Le Castor astral 2014, p.19
Mots de Passe est le dernier recueil de Marie-Claire Bancquart, paru en janvier 2014, au Castor Astral.
À la question qui précède, l'auteur répond avec toute l'ardeur de vivre qui l'habite : « La vie n'est jamais pauvre », réaffirme-t-elle dans sa dédicace. À cette étape de sa vie, elle prend le temps de noter pour elle-même et son lecteur ses propres mots de passe.
Pour commencer, elle passe en revue des lieux ravagés par la guerre et les siècles, des religions déchues, des ancêtres anonymes et les quelques traces qu'il en reste. Sa perception et sa connivence avec le végétal, l'animal, le minuscule, l'enfoui demeurent intactes. Sur ces chemins, une présence aimée l'accompagne, qui met de la tendresse entre les mots.
Combien d'arbres durant ce voyage
ont pris parole entre le ciel et nous
sans que nous connaissions leur nom
pas plus
que celui des bêtes, dans l'écorce, entre les feuilles.
Mais un sourd travail est venu de ces anonymes
peu importait chaque élément
nous vivions comme en filigrane
dans leur ensemble énigmatique
À notre tour
nous étions
évidents
et inexplicables.
Ibid p.15
Contre le doute, elle choisit la potée de fleurs orange et la règle ignatienne de l'ici et maintenant.
Ce tremblé
va loin
sur la mer
effet de la lumière ?
troupe immense d'oiseaux en fuite ?
Contre le doute
on pose
tout près de soi
la potée de fleurs orange
l'ici et maintenant
arrête le regard.
ibid p.16
Il est plus osé d'accorder le présent à sa mesure. Elle n'hésite pas.
Le présent ? Mais il se dérobe
à peine nommé.
Le futur ? – Sa charrue nous racle déjà dans la terre.
Reste à fausser un peu les pierreries du passé,
pour les mettre à son cœur
(comme on dit : mettre une lorgnette à sa vue)
…et parer notre vieille histoire
d'un éclat
d'une pureté
à nous éblouir.
Ibid p.37
Elle demeure toujours en quête de cet autre en nous, perçu inévitablement après qu'il soit passé, et qu'elle cherche à nommer.
Aurai-je
tenu mon rôle ?
Fut-il seulement un rôle
et non le hasard simple
qui me fit vivante dans cette respiration de la terre ?
Douceur d'une rencontre : un pelage, une main…
Nous explorons. Nous espérons
avoir parcouru des rythmes.
Alors s'affirme l'envers de notre visage
cet autre en nous, avec des interdits, des bonheurs flamboyants
qui ne sont pas ceux de nos habitudes
nous ne le voyons pas, cet autre.
Il nous traverse à l'improviste.
Ibid p.67
Exaltant credo, bilan d'une vie de combat contre l'adversité et l'inexorable.
Je mâche le temps je souffle sur lui
le transforme
en prophétie, en vol d'oiseaux
il devient le tempo
de notre vie
il n'a plus d'âge et va
de Babel à nos jours en brûlant les étapes
il court
s'étend sur des lieudits devenus capitales
fait un bond sur les veines bleues de nos bras
il dort avec des secrets qui ressortent
dans les rêves que nous voudrions refuser
notre sang bat
le temps lui chuchote
la fin de notre temps, que nous ignorerons jusqu'à la dernière
seconde.
Ibid p.68
Pour finir, la voici sereine, au plus près du vivant :
Tout ce que je n'ai pas nommé
n'en finit pas.
M'attend peut-être au détour de la vie
un murmure de branche, un cri de bête
il contiendrait l'alcool de tous les mots
tellement concentré
qu'il deviendrait inutile d'écrire.
Ibid p.121
Actualité
-
Une rencontre avec Marie-Claire Bancquart autour de Mots de passe est organisée chez Tschann Libraire (Paris), le mercredi 12 mars 2014 à 19 h en compagnie de Jean-Baptiste Para
Internet
-
Un article dans La Pierre et le Sel : Marie-Claire Bancquart, vers une incertitude sereine
Contribution de Roselyne Fritel
Reconnaître notre ignorance
connaître le silence
éternel de la vérité
naître de ta mort :
aucun médecin n'a osé
ouvrir nos yeux à temps.
Aucun n'a osé renoncer
au facile narcissisme
de l'indifférence.
Aucun ne t'a aimée assez
pour aller vers toi
pour aller vers nous.
Aucun n'a voulu
regarder dans tes yeux
le fantôme
de son propre passé.
Aucun
n'a voulu affronter
le glas de sa propre mort.
Aucun
n'a vu les outils
de la Mort acharnés contre
ton visage aimé.
Mais aucun, aucun
n'avait ton cœur
de source pure
aucun n'avait
ton âme de pure
émotion, aucun
n'avait gardé
au fond de soi
comme une amie fidèle
l'ombre
l'ombre
l'ombre
l'ombre aimée,
l'ombre qui revient
reprendre
ce qu'elle avait donné
l'ombre qui revient pour chacun de nous.
Alain Suied in l'éveillée éditions Arfuyen
Rédigé par : Marie-Thérèse Schietsch | 12 mars 2014 à 09:59