Saison de flammes
(…)
On ne voit plus
Hiroshima.
Au fond d'une fumée telle une toison pubienne,
sous le soleil clignotant,
qui gonfle jusqu'à deux, trois fois sa taille et se rétracte
rampent des langues de flammes
qui lèchent les peaux arrachées
des humains ;
flottant dans le vent tourbillonnant
une soudaine pluie noire
ferme les lèvres qui
appellent leurs semblables.
Un rang,
un rang,
une procession de fantômes
qui passent sous d'étranges arcs-en-ciel,
comme des fourmis d'une fourmilière détruite
fuyant hors de la ville
emplissant les rues
laissant tomber leurs mains devant eux
lentement
longuement longuement
des autrefois humains
en procession de vivants.
Dans l'espace de vent chaud et de puanteurs
où le ciel et la terre sont perdus
coulant en sept bras de rivière
mouvements d'eaux lentes.
Rugueusement
mollement
ceux qui vont à l'infini
à l'issue de l'estuaire
se heurtent aux îles.
(…)
extrait in Poèmes de la bombe atomique © Éditions Laurence Teper 2008
Les textes de ce recueil, à couper le souffle, furent écrits par Tôge Sankichi, rescapé en sursis du 6 août 1945, date du largage, par les Américains, de la bombe atomique sur Hiroshima. Ils furent composés entre mai 1949 et avril 1951, date à laquelle ils furent publiés au Japon ; l'auteur décédera, à 36 ans, dans la nuit du 9 au 10 mars 1953.
Dans une postface à ce livre, il écrit : « ce recueil de poèmes est offert à tous ceux qui aiment toute l'humanité ; c'est en même temps, pour ceux-là, un livre d'avertissement. »
C'est dans le même esprit que Jean Lurçat, qui a vécu les apocalypses des deux dernières guerres mondiales, se lance dans la création de l'ensemble des dix tapisseries du Chant du Monde, exposées désormais entre les murs du plus ancien hospice de France, l'Hôpital Saint-Jean, à Angers.
Le Chant du monde fut exposé à Hiroshima du 17/12/1998 au 21/03/99.
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Contribution de Roselyne Fritel
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