dans les tunnels
on cherche la lumière
c’est ce qu’on fait
mais toi en boule
repliée rond muette
tu ne peux pas
n’arrives pas
ne vois pas
In Même pas © Le bruit des autres 2009, p.16
****
la nuit est immobile on ne reconnaît
pas les choses le noir défait le monde
on a peur de ce qui vient dans les yeux
quand il n’y a plus d’images
alors on chuchote on parle doucement
on dessine la vie avec les lèvres
on la recommence on garde en soi
une blessure dans la main on cache
des cailloux froids secs et durs on tremble
encore, mais on ne le dit pas il ne faut pas
le dire personne ne veut l’entendre
ibid p.84
De ces deux textes retenons d’abord l’image courageuse du poète tentant de dessiner la vie avec les lèvres, une prouesse toujours à renouveler, car c’est bien là, la raison d’être du poète.
Le titre de ce livre, Même pas, résonne à l’oreille comme un mot d’enfant triste : un « m’aime pas », qui pourrait être aussi bien : on ne m’aime pas ou je ne m’aime pas, ce qui exige un travail sur soi, long et laborieux. Claudine Bohi s’y attelle et, par le biais de l’écriture, lui donne un ton universel.
Elle développe au fil de ses livres, une sensibilité aiguë à l’obscur et à la perte et nous présente un visage dévoilé jusqu’à l’os. La vision du gouffre ne l’empêche pas de relever la tête et de tracer sa part du chemin.
On est assis sur les trottoirs du monde
on marche aussi on relève la tête
on trace son chemin on n’a pas oublié
qu’on est des hommes on a fait son devoir
on prend sa place dans le cortège on va
vers quelque chose qui s’efface toujours
à mesure qu’on avance on ne sait plus bien
quoi on cherche à l’attraper, mais on le perd
on ne sait pas pourquoi on erre dans les regards
surtout la ligne à l’horizon se trouble s’effondre
toujours s’effondre jusqu’au bout s’effondre
et ça fait peur soudain ça fait mal ça fait
mourir vraiment on ne veut plus continuer
on accepte de finir ici on se calme si seulement
ça pouvait s’arrêter, mais ça reprend encore ça
reprend on est assis sur les trottoirs du monde
ibid p.85
Devant la difficulté à s’arracher au mal de vivre, son écriture n’en devient que plus poignante. On n’en peut plus est le titre de la deuxième partie du recueil d’où sont tirés les derniers poèmes. On ne vit pas tous les jours on n’y arrive pas on fait semblant, pourtant on se garde de crier. Crier serait s’avouer vaincu. Écrire c’est survivre.
Quand c’est partout le loup
pour les enfants c’est la peur
pour toi aussi
mais toi tu ne cries pas
vers qui entendre
tu ne sais pas
sortir vers toi
n’est pas gagné
Ibid p.17
Rien n’est gagné, mais le jeu en vaut la chandelle, surtout quand on n’en peut plus du tout.
En 2004, déjà aux prises avec la nuit, Claudine Bohi écrivait à propos de la lumière dans son recueil Une saison de neige avec thé :
Elle est
ce qui vient
après la fin du jeu
après la fin
de toi
Elle est
ce que tu ne peux penser
l’extrême pointe
du désespoir
en son retournement
C’est quand tu crois
qu’elle n’est pas là
qu’elle vient
Cette lumière
est une présence
In Une saison de neige avec thé © Le dé bleu 2004, p.20
****
Elle est
ce qui se tait
dans la passion
et n’a
que peu à faire
avec l’extase
Elle est comme une paix
dedans tous les combats
Cette lumière
te mène
vers l’infinitif
de vivre
ibid p.24
Un petit recueil, Avant les mots, magnifiquement illustré de dessins de Magali Latil, paraît en 2012 dans la collection PO&PSY, aux éditions éres. Le ton en est différent et prometteur d’apaisement.
toujours parler vient
parler est simplement
tenter de nommer
cela
qui restera sans nom
****
le corps reprend alors
son vocable
inaudible
il ne s’y reconnaît pas
****
le ventre pousse son giron d’espace
allume son feu
désire aller
C’est sur ce désir d’aller que nous quitterons Claudine Bohi.
Pour en savoir plus, vous trouverez, sur les sites indiqués en annexe, de plus amples informations sur l’auteur, ainsi que d’autres poèmes et articles écrits à propos de ses livres.
Bibliographie partielle
-
Une saison de neige avec thé, © Le Dé bleu, 2004
-
Même pas, © Le bruit des autres, 2009
-
avant les mots, © éres, 2012
Internet
Contribution de Roselyne Fritel
Commentaires