En janvier 2014, Roselyne Fritel mettait ici même le projecteur sur Juan Gelman à l’heure de sa disparition. Disparition qui n’enlève rien à la force de sa poésie, une des poésies contemporaines indispensables. Gallimard publie aujourd’hui dans sa collection Poésie, les recueils Vers le sud et Cela précédés de Notes, de Commentaires et de Citations. C’est une nouvelle occasion de lire cette poésie traversée par le malheur et l’interrogation même si, ainsi que l’écrit Jacques Ancet, traducteur et introducteur de cette édition, « c’est au cœur même de la langue, dans le vide de tout qu’elle ne cesse de traquer, comme jadis Jean de la Croix, l’impossible lumière où renaître, où recommencer la vie jusque dans la mort. »
Note XVI
la furie qui poursuit l’âme/
la tristesse qui poursuit la furie/
la mort qui poursuit la tristesse/
est-ce que ce sont des morts concrètes ? /paco
qui est mort concrètement ? /tristesse
pour la mort de paco ? /furie
de paco mort ? /l’âme
qui n’accepte pas son souvenir ? /souvenir
emporté par la mort/la tristesse/la furie ? /
paco qui rêve/ou toi petit morceau
qui me rêves/âme furieuse/pays
qui peu à peu réunit sa douleur ?
In Vers le sud et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2014, p.54
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Commentaire XXXVI
(Saint Jean de la Croix)
douleur crainte plaisir espoir
tu me nettoies/amour/de ta
menotte pure rêve interne
où je rêve rêvé par toi/
ou fulgurance de cerf qui
passe aveuglé de ta lumière/
ou tu fais que s’accordent les
deux parties de mon âme comme
transformation en toi/ou guerre
ou paix de toi où tu m’élèves
avec toi dans le feu vers toi/
maison d’amour où je te vis
comme l’air délié de tes
baisers mondes de tremblement
comme tes seins/lait qui efface
tout ce qui n’est pas la douceur
In Vers le sud et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2014, p.109
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Vers le sud
je t’aime/dame/comme le sud/
un matin monte de tes seins/
je touche tes seins et je touche un matin du sud/
un matin comme un double parfum/
du parfum de l’un se lève l’autre/
ou bien tes seins comme double allégresse/
de l’une reviennent les compagnons morts dans le sud/
ils établissent leur dure clarté/
de l’autre ils reviennent au sud/vivants de
l’allégresse qui monte de toi/
le matin que tu donnes comme de douces âmes volant/
faisant âme l’air avec toi/
je t’aime car tu es ma maison et les compagnons peuvent venir/
ils soutiennent le ciel du sud/
ils ouvrent les bras pour lâcher le sud/
d’un côté leur tombent des furies/de l’autre
grimpent leurs enfants/ils ouvrent la fenêtre
pour qu’entrent les chevaux du monde/
le cheval enflammé de sud/
le cheval du délice de toi/
la tiédeur de toi/femme qui existe
pour que l’amour existe quelque part/
les compagnons brillent aux fenêtres du sud/
de ce sud qui brille comme ton cœur/
tourne comme des astres/ou compagnons/
tu ne fais que monter/
quand tu lèves les mains au ciel
tu lui donnes santé ou lumière comme ton ventre/
ton ventre écrit des lettres au soleil/
sur les murs de l’ombre il écrit/
il écrit pour un homme qui s’arrache les os/
il écrit liberté/
In Vers le sud et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2014, p.109
Internet
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Dans La Pierre et le Sel, Juan Gelman : une parole pour l’indicible
-
Le blog de Juan Gelman (en espagnol)
Contribution de PPierre Kobel
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