Durant son existence difficile et chahutée, André Laude n’a cessé de faire des rencontres et d’attirer l’attention de ses congénères tant il ne cessait de rebondir de projet en projet, avançant avec la force de ses convictions et de ses espérances. En mars 1978, dans le numéro 5 de la revue Résurrection, le poète Jacques Aureillan traçait ce portrait de lui.
« Il est des jours où l’on aimerait bien attraper son destin par la queue. Mais nos pauvres doigts tout rongés d’impuissance ne peuvent que saisir les pages du journal où défilent, à grandes coulées de lettres noires, les fabulations d’un monde pathologique.
Alors on prend l’escalier, on va à la rencontre de la rue, du trottoir des autres. On se mêle à la foule, on erre dans les lieux sacrés qui ont vu tant d’autres promeneurs aux mêmes yeux fatigués, au même sourire triste et désabusé. On devient témoin en même temps qu’acteur. On voudrait autre chose, on voudrait que les autres aussi désirent autre chose, autre chose que cette faillite où sombre la ville dans un grand éclat de vitres brisées. On s’use les doigts sur les touches de la machine à écrire, on devient mercenaire de l’écriture.
Et cette nausée, cette angoisse qui vous ronge le cœur, on essaye de la noyer à grands verres, « verres de mémoire » disait Hardellet. Mais il n’en sort souvent qu’une nuit désenchantée où traînent les cadavres bleuis d’un futur froid repassé. Parfois une rencontre, la nuit étincelle, et c’est l’émerveillement de l’impossible sacrifié sur l’autel des petits matins.
On reprend son chemin. On chasse les étoiles avec un filet à papillons percé, usé jusqu’à la corde de vaines tentatives. On crie, on hurle, on vocifère, on se déchire à grands coups de mots – ces dents du mystère –. On essaye d’aimer, mais c’est difficile, et on ne récolte souvent qu’une fine poussière qui accroche les revers du manteau. On marche dans le désert, au milieu des autres. Quelle étrange solitude !
Ainsi va André Laude, Don Quichotte de la ville, cette ville qui le tue, où il renaît chaque jour, des étincelles au bout des doigts, avec une farouche magie. »
Ce texte était suivi du poème Je ne suis pas encore né extrait de Journal de bord de mort, in Œuvre poétique p.403
je ne suis pas encore né
et pourtant j’éprouve la douleur
déchiré par la flamme du miroir
je m’endors dans les nœuds d’abîmes
et pourtant je suis mort depuis longtemps
crâne pur et propre
étonné de porter encore un nom
que j’aime pour la beauté qu’il prend
quand la bouche féminine le murmure
— lèvres rouges et mouillées atrocement lointaines —
collée contre un corps blessé que je n’habite
que par la souffrance violente qu’il me procure
aux heures obscures des dégoûts véhéments
à travers un parfait délire
Je voyage
et parfois
la seule vision de mes mains
m’effare
et puis me fait sourire
comme la terrible absence de dieu
Contribution de PPierre Kobel
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