On est là au croisement du roman et de la poésie. Mars 1916, lieu dit le Bois des Buttes, un sous-lieutenant partage le quotidien de ses hommes dans les tranchées entre souffrances et humour, entre peur et courage. C'est un engagé volontaire, un étranger, un poète. C'est Guillaume Apollinaire.
Après Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx et Le carnet retrouvé de monsieur Max de Bruno Doucey, ce dernier publie Les obus jouaient à pigeon vole de Raphaël Jerusalmy. C'est le récit des vingt-quatre heures avant l'impact de l'obus qui blessa Apollinaire d'un éclat à la tempe, le 17 mars 1916.
Avec ce roman qui, selon la vocation de la collection Sur le fil fait se rejoindre l'histoire d'un poète et la grande Histoire, Raphaël Jerusalmy poursuit son écriture dans une veine qui est la sienne depuis Sauver Mozart et La confrérie des chasseurs de livres qui donne à Villon une existence au-delà de sa disparition supposée dans un thriller moyenâgeux étourdissant d'inventions. Qui connaît Raphaël Jerusalmy ne s'étonnera pas de son goût pour les parts mystérieuses de l'histoire, de la place qu'il accorde aux écrits et du crédit qu'il leur fait dans ses œuvres comme moteur de l'existence.
Personnage romanesque lui-même, étudiant et noctambule à Paris, officier des services secrets de l'armée israélienne, aujourd'hui marchand de livres à Tel-Aviv, il pose un regard teinté de scepticisme et d'ironie sur les tenants du pouvoir et de la gouvernance. Il n'y a ainsi pas de hasard à ce qu'il ait choisi Apollinaire comme catalyseur de la révolution poétique au tournant de la guerre de 14-18. Révolution poétique déjà en germe et que les conditions de la guerre vont mettre à jour, entre déconstruction/reconstruction des formes et exacerbations des engagements des poètes, Dada et le Surréalisme au premier plan.
Les obus jouaient à pigeon vole égrènent au fil de ces vingt-quatre heures fatidiques, l'itinéraire d'Apollinaire, le lieutenant Cointreau-Whisky, et de ses compagnons de tranchée, Dont-Acte, Père Ubu, Trouillebleu, Jojo-la-Fanfare. Implication dans la guerre d'un artiste qui tente là de trouver une justification à son existence quand il doute de l'importance de ses œuvres.
Comme c'est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait
plus encore
S'il y en avait des millions qui auraient
un sens complet et relatif comme
les lettres d'un livre
In Calligrammes
Un livre fort pour dire que la poésie aussi peut faire face, qu'au-delà de l'horreur, de la destruction, la guerre comme toutes les épreuves, est le creuset d'avancées du monde et pour Apollinaire « l'acte poétique absolu ».
Internet
- Libération : Apollinaire, dernières heures d’un « rimailleur » à la guerre d'Alexandra Schwarzbrod
- Bibliobs : Le jour où Apollinaire a reçu un éclat d'obus dans la tête de Jérôme Garcin
Contribution de PPierre Kobel
Commentaires