Un texte qui nous dit la chair gourmandise, la chair plaisir, la chair sensualité et sexualité. Pascal Garnier accompagne de ses pastels gras ce qu’il y a de noirceur, de crudité et de lumière dans les mots de Chantal Pelletier.
qu’est-ce que C’EST QUE CE…
Un homme allaite une femme,
corps blancs comme os
dans le noir de la chambre.
Ils se mouillent
lèchent et cherchent la chair
pénètrent
et puis renoncent
ne se gardent de rien
et se regardent tout
par la tête
par la queue.
Ils s’abreuvent l’un l’autre,
décharnés comme pauvres,
ils se tètent
ils s’entêtent,
sexe en bouche
langue aux seins,
s’acharnent à s’échanger,
s’échinent à changer
de pôle
de museau.
Ils musardent partout
dans le satin des chairs
et triomphent de tout
le blanc de la semence
sous la langue qui lèche,
et le rouge du sang,
là, sous les dents qui mordent.
Mais qu’est-ce que c’est que ce
c’est que ce
c’est que ce
qui implore
et impose ?
Et lui
qui fut longtemps
un vaste appartement
sombre et inhabité
découvre toutes les chambres
qu’elle allume une à une.
Et elle
elle l’aime
comme l’encre le papier,
contre lui
se blottit
convoquée par le doigt
pointé entre ses cuisses,
qui l’épingle et l’écarte
pour entrer dans ses eaux,
et ses lèvres sont anneau
sur la tige tendue
font fleurir la rose
au sommet de la hampe,
et beurrent le bambou
de sels et d’ondées.
Ils se sucent,
ils se cherchent
les semences et les sucs,
aux œillets aux corolles
aux poivres et aux douleurs,
et comme nuage meurt
le larmier gainé d’elle
enfantant dans ses fentes
d’épaisses crèmes claires.
Puis la voix grave en elle
les longs trajets des nerfs
chemins des méridiens,
et son parcours fluvial
jusqu’alors lent et lourd
court et roule
vers la mer
file et fonce
vers le large
se jette dans les vagues
se noie se fait poisson.
Une femme allaite un homme,
faisant œuvre de chair
ils taillent dans la masse
dégrossissent le temps,
c’est qu’il faut
qu’on en prenne,
qu’on sculpte et qu’on martèle
qu’on grave et qu’on cisèle.
Trouble statue de marbre,
bris de lune
or des chambres,
les polis de pierre lisse bruissent
halètent et se reposent
s’étoilent et se reforment
et les dunes s’emboîtent
l’épaule dans la paume
la joue dans le genou
le membre dans le ventre.
Ils s’échangent
ils s’arrangent
ils n’en font qu’à leur corps,
ils se disent
ils s’aiguisent
et coupent le jeu de cartes
ils se fourrent
ils se bouchent
comblent chaque trou de chair
et la main sur la joue
ramasse les prières.
Et lui
amoureux d’elle comme l’ombre de l’église
et elle
aime la pluie qui mouille la forêt
l’odeur des feuilles et de la terre
la musique des arbres.
Mais qu’est-ce que
c’est que ce
c’est que ce
c’est que ce
qui bande
qui boude ?
Et elle,
la langue
glisse sur l’ongle
lisse l’index
embouche le pouce
dévore les poignets
suce la pulpe des doigts
si joyeux
si repus
que leur tour est venu
de porter le message
qui délasse
et dénoue,
crâne dans vase de mains
nuque dans coupe de doigts
et les ongles s’enfoncent
dans les nerfs des cheveux,
parce que
c’est ça qu’ils aiment,
changer de rôle
mais pas d’amour,
car ils ont bien trop faim.
Ma langue me dit vas-y, vas-y,
quand je m’attable à ton ventre.
Ils savent
ils sont d’accord
changer d’amour
comme de slip
consommer
l’un
puis
l’autre
c’est sommaire
c’est con
traire
à toutes les mamelles
n’est pas boire
c’est encore de la soif
le sel qui assèche
le sucre qui altère.
Ils préfèrent l’occasion,
le noir de la chambre
le tendre éclat de lune
qui infuse leurs corps
acharnés à chercher.
Deux, c’est déjà beaucoup
ce serait presque un nombre
c’est même peut-être tout,
et dans l’ombre des chambres
se sirotent
et s’éclusent.
Mais qu’est-ce que
c’est que ce
c’est que ce
c’est que ce
qui panse
qui pousse
toutes les pierres de Carrare
et l’allège
et l’agresse,
la gorge d’allégresse,
quand la photo
des corps blancs comme os
révèle le miracle
de l’eau changée en lait.
Contribution de PPierre Kobel