Dans un entretien accordé à la revue Ballast, Gérard Chaliand à la question de la place de la poésie dans sa vie répond :
[…] la poésie, c’est ce qu’il y a de plus formidable. […] En dehors de quelques livres – Guerre du Péloponnèse de Thucydide, La Muqaddima d’Ibn Khaldoun ou De la démocratie en Amérique de Toqueville –, la seule chose qui reste, c’est la littérature. Homère, Madame Bovary, Anna Karénine ou Richard II de Shakespeare, ça dépasse toutes les analyses politiques. L’œuvre d’art dépasse tout – sauf le génie, comme Aristote ou Kautilya…
À Juliette
Un jour, je sus peu à peu qu’elle venait à moi.
J’eus la bouche pleine de son amour.
Mes yeux n’ont qu’un chemin, ils te parcourent entière
et mes rêves vacillent au creux de ta rivière.
Tes bras rives de douceur, à tes yeux, en cortège, des rêves de velours
toute l’eau des neiges fond aux perles de tes doigts
et tu offres ta grâce sans désir de retour.
Chacun de tes sourires déchire un peu de roche.
La fraîcheur des rivières au bord des yeux du jour
coule par tes reins fragiles oasis de faiblesse
la rose de ton cœur réclame sa chair de lune
l’amour perle au collier de ta gorge légère.
Je t’aime, la gorge nouée aux fibres de l’été
chaque aube m’éveille tes yeux au fond de mon regard
ma femme heureuse jusqu’au bord des paupières.
Nos rires feront trembler des miroirs d’eau légère
Ton corps offrit un été plus pur à mon corps privé
de sa saison.
Ta cuisse où perle le long filet de ta vie intérieure.
Et le merveilleux éclatement de ton ventre,
séjour nocturne d’obscures espérances
dans le jaillissement de la redoutable fleur
à jamais offerte
fruit de la seule apocalypse.
Toi
enfin nue.
In Feu nomade et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2016, p.54-55
Gérard Chaliand attirait l’attention d’André Breton dès 1959 avec ce texte. Si l’homme est connu pour ses prises de position sans ambages sur le monde et ses évolutions. « …je suis un optimiste physiologique mais un pessimiste historique. C’est ma santé qui me sauve. » dit l’homme. Et la poésie aussi sans doute, tant son écriture va à l’os des hommes et des faits, écriture de penseur guerrier qui ne nous laisse aucune illusion et réveille cependant l’esprit de résistance qui nous est si nécessaire. Gérard Chaliand est à lire sans attendre.
Bibliographie partielle
- Feu nomade et autres poèmes, © Poésie/Gallimard, 2016
Préface de Claude Burgelin
Internet
- Entretien dans Ballast
- Fiche wikipédia
- Le Monde : Gérard Chaliand
- Le Monde : Arpenteur des guerres
Contribution de PPierre Kobel
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