Le petit monde de la poésie ne cesse de se plaindre de ne pas être entendu du grand public. Répétons-le : comment la poésie peut-elle trouver écho dans le flux des informations quotidiennes, au milieu du zapping artificiel des réseaux sociaux ? Et lorsque les médias entonnent le refrain du poétique mis à toutes les sauces, c’est pour mieux étouffer au résultat ce que la poésie a de spécifique, lui ôter de son identité littéraire et en faire une expression indéterminée, vidée de son sens original.
La visibilité et l’audience que nous voudrions retrouver ne peuvent être que le fruit d’un long travail. Et d’abord d’une remise en cause de soi de la part des poètes. D’une prise de conscience de ce que le poète reste un personnage social, engagé. Si l’écriture est un acte solitaire qui tient à une nécessité personnelle, elle devient à partir du moment où elle est publiée, une part d’un patrimoine commun. On peut attendre qu’elle ne cède pas aux sirènes d’une séduction racoleuse. Ainsi que l’écrit Jean-Michel Espitallier dans Caisse à outils : « Le lyrisme est une dynamique, une vitesse, quelque chose d’une puissance d’entraînement (le “dégagement rêvé” rimbaldien ?) qu’il convient de recanaliser en dehors de tout effet de pathos et de petites confessions. En un mot, le lyrisme doit servir à repousser les effets du lyrisme… sentimental. » La poésie doit plutôt participer de l’enrichissement de la pensée et d’une réflexion de l’homme sur lui-même et la société qu’il construit. Pour autant ce n’est pas par la pratique d’une écriture confinée au formalisme, à des expériences de laboratoire qu’elle y parviendra.
Entendons-nous, je n’écris pas ici la tribune que je m’offre pour m’ériger en juge d’une part de l’écriture poétique qui a autant de légitimité que les autres. Pour revenir à mon propos initial, ce que je remets en cause c’est la distance que ces écritures repliées sur elle-même, de cercles intellectuels exclusifs ont provoqué avec le public. Certes elles ne sont pas la seule cause de cette absence dans la culture populaire contemporaine. Les médias ont leur part de responsabilité. J’invite ceux qui le désirent à lire la Lettre aux médias publiée par l’association Le Capital des mots sur Actualitté.com.
Je l’écrivais plus haut, un long travail reste à faire pour ramener la poésie à une audience populaire et lui redonner une place en rapport avec son importance dans la littérature et les arts. Si nous ne voulons pas attendre de futurs Lagarde et Michard pour qu’elle y trouve quelque écho, il nous faut dès maintenant nous guérir des ego surdimensionnés et des plaintes inutiles, aller à la rencontre du public dans les médiathèques, dans les librairies, dans les établissements scolaires, dans les cafés littéraires, pour réaffirmer plus collectivement cette parole nourrissante de l’esprit humain pour ne pas laisser la place à une culture fragmentaire, à une pensée éclatée et une réflexion sans racines, sans résonnance.
Jean-Paul Michel
Il n’est de gloire qu’à Saluer…
(extraits)
Un poète d’assez d’ambition doit
s’interdire toute exaltation inutile. La vérité de ce qui est déjà passe
ses pouvoirs de formuler.
[…]
Il n’est de poésie qui vaille que du Nom exact.
Le Nom exact d’Être est Chance.
C’est calomnier la chance d’être que te plaindre.
Fasse taire, oiseau de malheur, la calomnie née de ta
fatigue,
ou de quelque méprise superficielle. Être est Beauté.
il n’est de gloire qu’à Saluer.
British Library, 28 avril 1995
In Jean-Michel Espitallier, Pièces détachées, Une anthologie de la poésie française contemporaine, © Pocket, 2000, p.96
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Yves di Manno
(l’estampe) (à Isabelle)
longtemps j’ai cherché dans
le poème l’ombre
d’une mémoire plus vaste
que la mienne
aujourd’hui sans oser
l’écrire j’attends – l’encre l’estampe ?
La forme vers – laquelle me
conduit la strophe
inscrite la – poésie peinte ?
Au revers d’une
vie-nouvelle toile mentale
inaugurale ? - augurant d’un
temps sans dessein – abolissant
essence & sens – signes-destins ?
In Jean-Michel Espitallier, Pièces détachées, Une anthologie de la poésie française contemporaine, © Pocket, 2000, p.108
Bibliographie partielle
- Jean-Michel Espitallier, Pièces détachées, Une anthologie de la poésie française contemporaine, © Pocket, 2000
- Jean-Michel Espitallier, Caisse à outils, Un panorama de la poésie française contemporaine, © Pocket, 2006
Contribution de PPierre Kobel
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