Alors que commence un nouvel été, L’été est également le titre du nouveau recueil de Cécile A. Holdban publié par Alain Gorius avec des dessins de Bobi+Bobi. Dans un article sur Terre de femmes à propos d’un recueil précédent, Thierry Gillyboeuf écrit : « Ce qui frappe à la lecture de ces poèmes, c’est leur grand naturel. Comme s’ils allaient de soi, comme s’ils coulaient de source, alors qu’ils sont le fruit d’un lent travail. » C’est toujours vrai dans ces nouvelles pages tant Cécile semble s’arrêter à un détail de la nature, à la sensualité des corps, pour mieux nous ramener ensuite à ce qu’est la poésie : un intercesseur avec le monde, avec les forces de l’univers, avec ce que la matière conserve de redoutable. Cette voix accessible à tous dit avec la simplicité apparente de sa petite musique que le recours aux mots est salvateur entre fleurs et ciel.
Voilà ma vie depuis longtemps.
Dans mes mains, tu souffles
des fleurs de pissenlit
et puisque je suis là, je sais
où vont toutes ces paroles
d’abeilles à la ruche, de truites à la source,
d’hirondelles aux toits
mais il suffit
que le jour se craquelle
même infimement
comme une huile trop épaisse
un Turner au soleil blanc :
Alors la nuit entre
goutte après goutte derrière mes yeux
et projette du vent, de grands arbres mouvants,
un fracas d’ailes dans le silence.
Tu dois, pour me rejoindre
descendre dans un chaos de lignes
de longs escaliers de pierre.
In L’été, © Al Manar Alain Gorius, 2017, p.11
Dessins Bobi+Bobi
****
Psaltérion
Les astres connaissent des sentiers vers le corps.
La lune avance au mascaret, elle entre jusque dans nos os
flamboiement de l’océan, royaume tendu de cordes que nos mains
orchestrent dans un ciel derrière le ciel.
J’apprends par ta main, par ta voix
ce que l’aurore révèle
du plus profond désir.
Chaque chose a un centre
mais toi, que je nomme désir
tu me décentres.
Par toi je suis multipliée, figure libre
du bond devançant le corps
du timbre devançant la voix
du don devançant le cœur
du poème devançant le mot.
Qu’entendrai-je lorsque tu te tairas ?
Le ressac du cœur
son repli en mes ombres
et la douleur ancienne,
une reine déchue
chanter sur une plage nue.
Le soleil que tu portes
règne au centre de mon désir.
Caïman qui dévore la source du feu
c’est pour lui qu’il me faut jaillir, danser
jusqu’à en faire rougir l’écume.
L’ombre en moi guette
une sauvagerie
des pas, une voix, un geste
elle guette dans la nuit des ombres
et repose sur elle-même, lisse et ronde.
La nuit dans nos corps n’est pas noire,
elle est rouge, pourpre, or et bleu d’océan.
La course de mes veines
m’éloigne perpétuellement de ma naissance
j’attends tes mains, berger du sang
pour renaître.
Les mains qui sèment savent dompter l’orage.
Je sais que tu me regardes, lorsque doucement
tu souffles la tempête à travers mon sang
et si j’ouvre les yeux
je vois des continents brûler
s’avancer toujours plus loin dans l’océan
de ce désir,
alors je les referme
pour que le monde s’accomplisse à nouveau.
Ton baiser ne suffit pas,
ce sont tes mains que je cherche
qui ouvrent des passages dans la nuit.
Tu me caresses sous la peau
et je n’ai plus de nom
chaque flamme exploratrice
dévoile la couleur d’une fièvre.
Il pleut, et de la pluie surgissent des mondes enfouis
où poussent des baisers, des chuchotements, des cris
roses tremblantes de nos corps transformés en jardins.
Ils flottent dans le matin
d’un océan à l’autre.
Je suis en morceaux
libre, puisque je chante
éparpillée dans le cosmos
fragments de miroir plantés au ciel
les étoiles nous regardent enfin.
In L’été, © Al Manar Alain Gorius, 2017, p.31
Dessins Bobi+Bobi
****
Sœurs
Elle prie pour les oiseaux.
Le jour où avec l’orage sont entrées
dans le séjour
deux hirondelles,
sous leurs ailes les fenêtres
volaient, pleines d’éclats d’éclairs,
derrière elles les arbres foncés par la pluie
bordaient la rivière au fond du jardin.
Tu sais, dit-elle
je ne connais pas leur nom
ce sont des oiseaux aux longues ailes
qui ne savent jamais se poser,
ne sachant se poser
ils renversent l’espace à chaque battement d’aile
et accélèrent
la création et la dissolution du monde.
Il fallait pour qu’elles partent, ouvrir grand
les yeux et les fenêtres, tous les passages
qu’on avait obturés par peur de l’orage
les meubles et les rideaux s’agitaient, tremblaient,
dans une couleur dorée de crépuscule
et les ailes des oiseaux grandissaient
comme des satellites, voltigeaient
réinventant la naissance du geste
le chien devenait fou
lui aussi tournait comme un derviche
son corps trempé
faisait rayonner les gouttes…
Elles surent l’instant précis, la seconde
où l’orage bascula de l’autre côté du ciel
rassemblant le vent sous leurs ailes
elles tracèrent un grand arc du sofa jusqu’à l’eau
qui gonflait sous les arbres.
Depuis, souvent je prie
pour les voir à nouveau…
In L’été, © Al Manar Alain Gorius, 2017, p.48
Dessins Bobi+Bobi
Internet
- Une page Wikipédia
- Une page dans Recours au poème
- Dans La Pierre et le Sel :
- Recueil : Cécile A.Holdban | Poèmes d’après suivi de La route de sel, une contribution de Marie-Hélène Prouteau
- Recueil : Cécile A. Holdban | Une robe couleur de jour/Napszín Ruhában, une contribution d’Isabelle Lévesque
Contribution de PPierre Kobel
Commentaires