Mireille Fargier-Caruso est de ces poètes dont un cercle de fidèles porte haut l’écriture, mais dont on ne sait pas pourquoi elle ne trouve pas les faveurs d’un plus large public. Auteur d’une œuvre conséquente depuis le début des années 80, voix singulière qui mêle une passion mesurée à la sagesse d’une réflexion philosophique, textes nourris d’humanité et d’expériences vécues, on ne peut que souhaiter qu’elle trouve une audience plus importante à l’avenir.
je marche avec des traces
flétries des limites
un interstice une approche aussi
la langue ne m’est plus étrangère
une musique un peu rauque
comme le goût résiné des vignes
que l’on boit pour se désaltérer
où êtes-vous tandis que je parcours la plage
de l’autre côté de la mer
de l’autre côté toujours
à la saignée du soir demain tremble déjà
dans la précarité des syllabes
j’écris malgré l’épuisement des mots
des cicatrices ensevelies dans la gorge
je vous écris l’espoir et le grave
la menace qui irradie l’air
trop chaud trop lourd trop calme
il vient un jour où l’on ne revient plus
l’écorce du temps simplement
se déroule
In Même la nuit persiennes ouvertes, © le dé bleu, 1998, p.71
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Nous allons jusqu’à croire aux choses
Nous les posons bien fermes sur nos chemins
Recueillir l’aveu enterrer nos défaites
Recoudre nos blessures patiemment
Alors on ferme les volets on déménage
On change de ville de maison
La peur s’oublie et la douleur
– même celle qui efface les autres —
On ne répare rien pourtant
Chacun pille ses trésors d’espoir
Tente de déchiffrer l’alphabet des lointains
On connaît juste un peu plus
Le poids lisse des pierres
Quelques mots qui balisent le blanc
In Silence à vif, © Paupières de terre, 2004, p.11
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ensemble
ils gravent l’aube des questions
dans leurs pas
ils fouillent la lumière
pour à la mort faire barrage
ils ont appris
que la clarté viendra d’eux-mêmes
l’absolu dénudé
l’humain tiendra-t-il parole ?
In Ces gestes en écho, © Paupières de terre, 2006, p.49
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Entre les blancs
Le retour inlassablement
Des images
L’une
Puis l’autre
Arrêt sur visages
Ainsi relire l’oubli
In Un lent dépaysage, © Bruno Doucey, 2015, p.7
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Où va le souffle après ? Où vont les mots ?
Belle histoire la terre qui rejoint le ciel
Croire dépasse le réel
Quels signes dans les spectres évanescents des nuages ?
Quelles paroles en l’air ?
Les yeux blessés par chaque deuil coagulé
Sillons profonds des ans retenus contre soi
Précipices sans bord
Résistent tout au fond blancheur aiguë du sable
Ces moments où s’impose l’amour tellement
Qu’on se croit éternel
Accordé au monde
In Un lent dépaysage, © Bruno Doucey, 2015, p.17
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Au bord des ravins tout au bord
Avec ceux qui ne savent pas se servir
Des mots des autres
Enlisés
Dans la brutalité du monde
Au bord
Traversée par les plis
Des promesses gercées qu’on ne referme pas
Une révolte commune serrée en boule
Dans les poings
Toujours un peu complice
Des plaies des mauvaises herbes
Sur le journal
Lissé les déchirures
Repeint le quotidien
Tandis que dans les caniveaux
Des coquelicots poussent
In Un lent dépaysage, © Bruno Doucey, 2015, p.33
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L’allégresse l’allégresse
Les premiers jours de Mai
Lilas soleil désir appel irrépressible
La chaleur de la terre maintenant simplement donnée
Comme si on retrouvait chaque année
Ce qui était perdu
Couper du buis la veille de la fête
Pour décorer l’orchestre sur la place du village
Chaque fois on cherche l’impossible tenu
Vers quel triomphe ?
Ce qu’on entend malgré
Fuir l’ordinaire
L’ordinaire empaille l’avenir
Espoir déshabillé
L’élan parti avec la première neige
Demain crevé
Où s’appuyer ?
On voudrait tant étreindre le monde
In Un lent dépaysage, © Bruno Doucey, 2015, p.61
Internet
- Mireille Fargier-Caruso sur Terres de femmes
- Une page Wikipédia
- Une contribution de Roselyne Fritel dans Le temps bleu : Mireille Fargier-Caruso L’autre coté du mur
- Une contribution de Roselyne Fritel dans La Pierre et le Sel : Mireille Fargier-Caruso | Cet absurde désir de durer
- Une présentation de Mireille Fargier-Caruso par Florence Trocmé sur Poezibao
Contribution de PPierre Kobel
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