Disons-le tout de go, Marcelle Delpastre est non seulement méconnue, mais elle est une poète des plus importantes de son temps et de la poésie occitane. Née en 1925 en Corrèze, elle y vécut toute sa vie, dans la ferme familiale de Germont, se partageant entre les travaux agricoles et l’écriture. Elle voyagea peu, fut peu reconnue sinon très localement de son vivant, et cependant son œuvre, au-delà d’une localisation géographique très petite, revendique l’universel et offre un message dans ce sens. Œuvre abondante qui mêle poésies, mémoires, théâtre, chroniques et ethnologie, car Marcelle Delpastre s’est aussi occupée de la préservation de la langue et de la culture limousine en voie de disparaître.
Une poète exceptionnelle qui reste à découvrir.
L’Homme. – Est-ce vous mes amis dont la voix me parvient ?
Comme une aurore qui s’annonce j’entends la voix de mes amis.
Je fais un pas, j’avance. Je tends la main, j’attrape le vent.
Où êtes-vous ?
Non, je suis seul toujours.
Il me semble que ma tête s’enfle et se distend de jour en jour.
Il me semble que ma tête est grosse de tous les vents de l’univers.
Qu’elle se gonfle comme un ventre où bourdonne la vie en bourgeon.
Se prépare l’essaim de la ruche qui gronde !
J’éclaterai comme une graine, je germerai comme le blé.
Ma tête porte des forêts, la marée haute des moissons l’habite.
Ma tête porte l’océan tout pommelé de vagues blanches.
J’éclaterai comme la graine. Ma tête engendre l’horizon.
Elle porte le flot des moissons, l’haleine de l’amour l’habite.
J’accoucherai de mes poissons, et mes oiseaux s’envoleront, ivres de ces torrents qui tournoient sur leurs rives.
J’enfanterai fatalement. J’éclaterai comme éclate en tombant le fruit trop mûr des branches.
In Poèmes dramatiques II – L’Homme éclaté, © Edicions dau chamin de Sent Jaume, 1999, p.12
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L’Homme. – Elle me touche, elle me tient. Sa peau m’est toute familière. Je la connais depuis toujours. Elle est chaude comme la mienne.
Je l’ai sentie contre ma peau, et je n’ai pas frémi. J’ai reconnu le velouté de son contact, et sa tiédeur.
Quand je suis nu dans le soleil de juin, je ne sens pas davantage contre mon corps la douceur de l’air.
Mais alors me vient le bonheur, alors dans tous mes os monte cette allégresse.
Je danserai sur le foin mûr ! Je danserai comme les blés qu’une haleine de vent fait venir et aller, je danserai où que je sois, mes pieds m’emportent.
Je danserai avec les bras, je danserai avec le cou, je me sens plus léger que l’orage.
Elle me tient le cou, elle me touche le visage. Je danse tout entier, je danse comme un arbre, et mon cœur chante ses moissons.
In Poèmes dramatiques II – L’Homme éclaté, © Edicions dau chamin de Sent Jaume, 1999, p.29
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Troisième Voix. – Lorsque je tends le bras,
l’oiseau s’envole et va. Et quelquefois traverse les nuages.
Puissante est la main. Sa force est dans le bras.
Puissante est l’aile de l’oiseau. C’est le corps qui déploie sa force et sa vaillance.
Son désir d’être ailleurs. Sa volonté.
L’oiseau qui monte et qui descend.
Qui part et qui se pose.
Et qui dessine un arc, entre les arbres.
Entre les branches.
Entre les lieux.
Par-dessus la forêt.
Par-dessus la montagne.
Par au-dessus des eaux.
Puissante est la main.
Le bras qui ne m’emporte pas. Qui n’a pas soulevé mon poids entre les deux abîmes.
Et n’a pas déployé sa puissance au-dessus des vallées.
Il ne m’a pas levé si haut que je traverse les nuages.
Il ne m’a pas porté si loin que j’aie traversé l’eau.
Mais la main prend la pierre et la jette au-devant.
Mais la main prend la pierre et la jette plus haut.
Mais la main prend la pierre et la jette où je veux.
De la force du bras.
De la force du corps, des reins tendus, de la cuisse qui tourne, et de la jambe souple, appuyée sur le pied.
De la force du corps tout entier.
Du vouloir de la volonté.
L’œil qui voit, qui choisit, qui calcule la place.
Et le pied qui mesure l’espace et compte la distance.
Le pas, la foulée. Le pied. La toise. La coudée. Le pouce.
Et le corps tout entier pour dire la hauteur et supputer l’espace, au-delà de l’espace où le cri peut porter,
au-delà de l’espace où l’œil peut regarder,
au-delà de l’espace où le pas peut mener.
Au-delà de l’espace…
Et le savoir qui sait. Et l’esprit qui devine au-delà de l’espace l’espace nouveau.
In Poèmes dramatiques II – La tour, © Edicions dau chamin de Sent Jaume, 1999, p.159
Internet
- Fiche Wikipédia
- Fiche Babelio
- Cédric Mesuron — Marcelle Delpastre ou les chemins creux de la poésie
- Nadège Saint-Martin —Aux sources du poème : les manuscrits de Marcelle Delpastre
Contribution de PPierre Kobel
La poésie de Marcela Delpastre est régulièrement dite et chantée, bercée, gémie, hurlée, en occitan comme en français, par Bernat Combi, dont une des dernières et remarquables interventions s'est déroulée ce mois d'août 2017 à la Pierre des Druides, site emblématique du canton corrézien de Treignac, dans le cadre du festival de musique Kind of Belou. Il était accompagné à la vielle par Olivier Peirat, dont le jeu sensible, expérimental et nuancé, renouvèle avec sens la pratique ancestrale d'un instrument difficile, ainsi délivré des académismes régionalistes figés. Marcela Delpastre est servie !
Rédigé par : William | 24 août 2017 à 18:31