Depuis le début 2016, Robert Lobet et les éditions de la Margeride ajoutent à leurs publications, une revue Connivences qui fait, nul qui connaît le travail de cet artiste ne s’en étonnera, la part belle aux peintures et dessins en regard des textes. Ce numéro 3 réalisé en complicité avec Marc-Henri Arfeux et Felip Costaglioli, a été construit pour l'exposition Rivages de Robert Lobet à la médiathèque des Ursulines à Quimper, de juin à septembre 2016.
Marc-Henri Arfeux
Estran d'hiver
De très hauts vents portant des chandeliers
Ont traversé l’absence.
Puis un matin sur le désert des vagues.
La pierre est seule, comme un visage dans le gravé de l’air.
De minces fenêtres nues passent au lointain du sable,
Silencieusement avec l’oubli ;
Et dans les chambres qu’elles révèlent monte un envol,
Jardin léger d’insaisissable
Tenant la lune et la pâleur
Au pli de l’invisible.
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Felip Costaglioli
Un Homme Simple
(le testament d’un poète)
À Robert Walser
et à Robert Lobet
C’est un pays ouvert où les amants s’embrassent à pleine bouche mais pour leur plaisir font la cuisine pour leurs grand-mères, pour leurs sœurs et pour leur mère; un pays où légers les arbres tremblent, où les vallées se déploient, s’évaporent ou se plient.
Alors apparaît notre héros, trainant un peu ses racines. C’est un homme. Il porte cravate dès le matin et parle aux collines, à la neige qui lui prépare ses valises. Elle veut l’accompagner. Lui, à genoux, salive, avale et crachote quelques mots. Puis les mastique à nouveau. C’est une prière comme une autre. Et caché derrière son dos, dans ses mains, feuilles croisées, gigote son chapeau.
“Je considère”, dit-il, “l’écriture poétique comme chose sacrée.”
C’est un homme délicat, aux cheveux très très doux, presque indicibles. Un garçon, disons plutôt un enfant grand qui ne se laisse caresser et coiffer que par les hirondelles. Il se lève, à l’instant, essuie la terre de ses coudes, de ses genoux.
“Quand j’écris, je couds le livre de l’autre, intimement filé, brodé et lacéré.”
Et consacré au talent de n’être rien, sinon au plus près du bien, il porte à la main droite, l’anneau de ses échecs, puis, nu ou habillé de joie, il mènera à la fenêtre, brûlant et glacé sous sa langue, le secret des absents.
“Temps d’ouvrir ma valise. Tiens, elle est pleine de neige!”
Et enivré de sa propre éloquence -il ne dit rien - mystérieux à force d’être si transparent, il sent tout à coup, il sent le paysage lui entrer, lui bondir dans la poche. Et puis dans l’estomac, non, dans la poche intérieure.
“Je parlerai bientôt la langue des kangourous puisqu’enfant jamais n’aurai mais le serai aussi fort, aussi loin que possible.”
Le voilà, doux et fou et tout entier voué à naître. Toujours. Encore. Ou plutôt à apprendre ce qu’être au monde veut dire. Mais comment le dire justement?
Ce qui en nous est authentique, s’étend, s’efface et nous efface, devient (comment ne pas le dire) pores de nos pores, nous capture, nous dilue, nous pénètre. Tatouage intérieur. Tout prêt à s’épanouir.
“Oh,” dit-il enfin,” le baiser de mon amant!”
Certains chantent que rien ne finit vraiment. Peut-être, mais les mots qui doivent nous dire, n’ont pas encore été dits. Ah, tituber, avancer un peu ou mieux même danser. Avec un poing dans sa poche et l'autre ouvert dans l’air. Pour suivre la neige.
Mais ma maison qui est aussi ta maison, est-elle loin encore ?
Internet
- Site des éditions de la Margeride, livres d'artiste
- Le site de Marc-Henri Arfeux
- Une page consacrée à Felip Costaglioli
Contribution de PPierre Kobel
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