Depuis longtemps Lambert Schlechter promène dans l’univers de la poésie son écharpe blanche et son regard interrogateur. Homme de culture classique, grand pratiquant de Montaigne, autant qu’il est le vagabond des traverses où le conduisent ses recherches et ses désirs, il distille au fil de ses opus une sagesse mêlée de curiosité et d’inquiétude sous-jacente. Dans l’article que lui consacre le dictionnaire des auteurs luxembourgeois, on trouve cette définition de son écriture : « Dans ses œuvres, Lambert Schlechter s’adonne à une écriture foisonnante et libre, tout en veillant à une régularité formelle, par calibrage en alinéas ou en pages. Ses fragments, bribes ou fulgurances mêlent à la fois angoisse de la mort et profonde jouissance de la vie, plénitude et inassouvissement, fantasmes et hantises, petits faits du quotidien et pensées universelles. »
Ses promenades méditatives conduisent à une leçon permanente de vie qui, loin de le mettre hors du monde, lui permet de s’y retrouver quand des épreuves viennent bouleverser son univers. Ainsi quand l’incendie de sa maison, en avril 2015, détruit une grande partie de sa bibliothèque et de ses archives et qu’il se reconstruit à partir de cette expérience au-delà du désastre qu’elle représente. « Lambert Schlechter est un écrivain-penseur… grand piocheur de cailloux polis dans le ruisseau des livres, qu’il ouvre, et ferme, et rouvre, accoudé, debout, assis, près de la fenêtre, derrière laquelle le vent fait, dans sa quasi-absence, une rumeur que nul n’entendra jamais. Amoureux de la Chine et de Montaigne, et du corps féminin, il fait marcher le quotidien, droit, sur le fil du rasoir des mots, pour que la vie blesse moins. C’est un penseur-écrivain qui fait en sorte que l’ivresse d’exister rejaillisse toujours sur la page, comme elle inonde de ses senteurs, de ses moiteurs, l’écran de nos vies, où défilent figurants et personnages secondaires puis principaux puis secondaires puis principaux » écrit Matthieu Gosztola dans Terre à ciel.
le murmure du monde ne m’a pas attendu pour se faire entendre, parfois je rature un mot, mais c’est rare, je rature quand je me rends soudain compte que je me suis trompé, quand par distraction j’ai pris un mot pour un autre, quand je découvre soudain, meurtri, une faute due à ma maigre maîtrise de cette langue qui n’est pas la mienne, quand je découvre que j’ai écrit dissolu pour dissout, le texte ne serait pas lisible, au cas où un lecteur le lirait, pour mon voyage j’ai descendu une petite valise et un petit sac, je ne pars que pour une semaine, trois chemises, ça suffit, et mon peignoir, le matin pendant les premières heures du jour je mets toujours le peignoir, il me protège, sans renier tout à fait ma native nudité, c’est le matin que le monde murmure le moins, parfois j’aimerais me lever avant le jour, accueillir le matin au lieu de le subir,
In Le murmure du monde, © Le Castor Astral, 2006, p.65
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les passereaux, j’en suis sûr
maintenant, les passereaux, ils savent
l’églantine, plus de doute, elle sait
elle a depuis longtemps tout compris
aucune énigme ne les préoccupe
aucun mystère ne leur pèse
et les passereaux, ils gazouillent
et l’églantine, elle fredonne
et moi je continue à ne rien comprendre
In Enculer la camarde, © Phi, 2013, p.26
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dans la sombre lueur du matin d’hiver
soudain je revois ton regard
je me souviens de ce jour
où tu as posé sur moi ton regard
ce jour-là tu ne t’attendais pas à me voir —
tu me regardes et il y a sourire dans ton regard
dans la sombre lueur d’un jour d’hiver
éclot soudain une magique lumière
s’il y a soleil dans ma vie, c’est ton regard
Ibid, p.64
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c’est une tristesse mais qui ne tue pas
alors je l’accueille en souriant presque
un sourire est venu pendant la nuit
un sourire muet sur une image muette
un regard qui me regarde sans me voir
un sourire qui me parle sans rien demander
alors je l’accueille, ce sourire de la nuit
en souriant presque, et en tremblant
c’est un bonheur d’une infinie tristesse
Ibid, p.100
Internet
- Le murmure du monde, le blog personnel de Lambert Schlechter
- Lambert Schlechter — Wikipédia
- Lambert Schlechter — Dictionnaire des auteurs luxembourgeois
Contribution de PPierre Kobel
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