À l’heure où se termine la grande exposition que vient de consacrer la Maison Rouge à son œuvre picturale, il convient de dire l’importance grandissante des créations de Ceija Stojka. Dès février 2017 Florence Aubenas dans un long article du M, le magazine du Monde faisait le récit documenté du parcours hors-norme de cette femme qui, par son histoire et l’expression qu’elle en fit, rejoint le cénacle des voix mémorielles de la Shoah, de Primo Levi à Robert Antelme, d’Élie Wiesel à Charlotte Delbo, de Paul Celan à Ytshak Katznelson pour ne pas les citer tous.
Auschwitz ist mein mantel
du hast angst vor der finsternis ?
ich sage dir, wo der weg menschenleer ist,
brauchst du dich nicht zu fürchten
ich habe keine angst.
meine angst ist in Auschwitz geblieben
und in den lagern.
Auschwitz ist mein mantel
Bergen-Belsen mein kleid
und Ravensbrück mein unterhemd.
Wovor soll ich mich fürchten ?
Auschwitz est mon manteau
tu as peur de l’obscurité ?
Je te dis que là où le chemin est dépeuplé,
tu n’as pas besoin de t’effrayer
je n’ai pas peur.
Ma peur s’est arrêtée à Auschwitz
et dans les camps.
Auschwitz est mon manteau,
Bergen-Belsen ma robe
et Ravensbrück mon tricot de peau.
De quoi faut-il que j’aie peur ?
In Auschwitz est mon manteau, © Bruno Doucey, 2018, pp.38-39
Traduction de François Mathieu
À ceux qui n’ont pu voir l’exposition qu’a organisé Antoine de Galabert, il reste à lire le riche catalogue, les récits de Ceija Stojka publiés par Isabelle Sauvage et le recueil de poèmes paru chez Bruno Doucey au début de cette année.
Die sonnenblume ist die blume des rom.
Sie gibt nahrung, sie ist leben.
Und die frauen schmücken sich mit ihr.
Sie hat die farbe der sonne.
Als kinder haben wir im frühling ihre zarten,
Gelben blätter gegessen und im herbst ihre kerne.
Sie war wichtig für den rom.
Wichtiger als dir rose,
Weil die rose uns zum weinen bringt.
Aber die Sonnenblume bringt uns zum lachen.
Le tournesol est la fleur du Rom.
Elle le nourrit, elle est la vie.
Et les femmes se parent de lui.
Il a la couleur du soleil.
Enfants, au printemps nous avons mangé ses feuilles
Jaunes délicates et à l’automne ses pépins.
Il était important pour le Rom.
Plus important que la rose,
Parce que la rose nous fait pleurer.
Le tournesol, lui, nous fait rire.
Ibid, p.16-17
Toutes publications qui forment un ensemble dont il se dégage, à l’instar de ses peintures et dessins, une puissance du verbe qui relègue ses maladresses d’autodidacte à un arrière-plan sans importance. « De telles découvertes sont rares dans une vie d’amateur. Ce que certains pouvaient jusque là percevoir comme de l’art naïf était en réalité l’œuvre d’une grande artiste qui s’ignorait. » écrit Antoine de Galabert. Combien d’écrivains, de peintres dont l’ouvrage est pétri de savoir technique, de formalisme, qui n’atteignent pas l’évidence mobilisatrice de Ceija Stojka.
Ich
Ceija
sage
Auschwitz lebt
und atmet
noch heute in mir
ich spüre noch heute
das Leid
Jeder Grashalm jede Blume dort
ist die Seele eines Toten
Ich habe gesehen
alles ist wieder da
alles ist wieder nah
Überall spürt man
dass die Seelen
mit einem mitgehen
Es ist unbegreiflich
dass es Menschen gab
die solch eine Stätte
des Grauens
errichten konnten
Auschwitz war viel schlimmer
als dir heutigen Kriege
Auschwitz und seine
gleich schlimmen Geschwister
wo sie auch alle sind und waren
Sie brachten mit ihren
menschenvernichtenden Gasfabriken
Asche Rauch Urnen
Brennen Asche
Asche in der Urne
Wer ist wirklich in der Dose
Ist es mein Vater
Moi
Ceija
je dis
qu’Auschwitz vit
et respire
aujourd’hui encore en moi
je sens aujourd’hui encore
la souffrance
Chaque brin d’herbe chaque fleur là-bas
est l’âme d’un mort
J’ai vu
tout est là de nouveau
tout est proche de nouveau
Partout on sent
que les âmes
vous accompagnent
On ne peut rien comprendre
qu’il y eut des hommes
qui aient pu édifier
un lieu d’horreur
pareil
Auschwitz a été bien pire
que les guerres actuelles
Auschwitz et ses
frères aussi monstrueux
où qu’ils soient et fussent
Ils ont produit avec leurs
usines à gaz exterminatrices d’êtres humains
cendres fumée urnes
Feu cendres
Cendres dans l’urne
Qui est vraiment dans cette boîte
Est-ce mon père
Ibid, p.46-49
L’exposition et la publication de l’œuvre de Ceija Stojka ne tiennent pas du miracle. Elles doivent à la curiosité, l’enthousiasme et la conviction de quelques-uns, gens du journalisme, de l’art et de l’édition (Qui peut dire encore « Petite édition » ?) qui ont su la mettre au-devant des vanités d’un monde des arts trop souvent grevé par l’appât du gain et un commerce sans esprit. Souhaitons que l’avenir de cette œuvre dont la reconnaissance n’est pas terminée continue dans ce sens, avec la spontanéité grave mêlée d’une fraîcheur sans âge qui sont les siennes.
Bibliographie partielle
- Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle, © Fage, 2018
- Ceija Stojka, Je rêve que je vis ?, © Isabelle Sauvage, 2016
- Ceija Stojka, Nous vivons cachés Récits d’une Romni à travers le siècle, © Isabelle Sauvage, 2018
- Ceija Stojka, Auschwitz est mon manteau, © Bruno Doucey, 2018
Internet
- Un article de Florence Aubenas | Ceija Stojka, à la découverte d’une artiste rom et déportée
- Ceija Stojka — Wikipédia
- Ceija Stojka à la Maison rouge : la mémoire d’une artiste...
Contribution de PPierre Kobel
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