Que peuvent les poètes quand les politiques ferment les frontières, quand ils font appel aux réactions les plus viles de l’opinion publique, quand ils narguent l’indignation que soulève leur action ? Temps sans mémoire et retour de la bête immonde au pouvoir. Ne restent que les poèmes qui, pour le malheur du monde, ne perdent pas leur actualité.
Alain Mabanckou
Je ne sais sur quelle mappemonde…
je ne sais sur quelle mappemonde
lire tes frontières
je n’ai plus l’habitude
des intervalles
et des repères
mes songes ont perdu
leur centre de gravité
la patrie est une herbe
qui prospère
sur les terres vagabondes
la pluie des larmes l’enracine
dans l’humus
l’exil est son engrais
In Les arbres aussi versent des larmes, © L’Harmattan, 1997
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Rachel
Non un sauveur — mais tellement proche,
Non un étranger — mais tellement lointain,
Et le toucher ténu infuse
Une vague émotion.
Te souviens-tu ? Les murs se refermaient,
Et par-delà la foule indifférente
À l’entrelacs des regards se tressaient
Un pont — un signe.
Si tu me fais souffrir – bénie la souffrance,
Il y a dans le souffrir des fenêtres claires.
Ma sente parallèle aux chemins
Et mon cœur serein.
In De loin suivi de Nébo, © Arfuyen, 2013
Traduction par Bernard Grasset
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Durs Grünbein
Cosmopolite
De retour de mon voyage le plus lointain, le lendemain
Je réalise que des voyages je ne comprends rien.
En prison dans l’avion, sans mouvement des heures durant,
Sous les nuages qui ressemblent aux déserts,
Des déserts qui ressemblent à des mers, et des mers
Pareilles aux congères des neiges, à travers lesquelles on erre
Lorsque des narcoses on s’éveille, je reconnais,
Ce que veut dire errer dessus les latitudes.
Au corps fut dérobé le temps, aux yeux l’apaisement.
Le mot exact perd son havre. L’escroquerie
Se découvre en le troc de l’Au-delà et de l’Ici
En plusieurs croyances en différents langages,
Partout les aires d’envol sont gris bonnet bonnet gris
Lumineuses les chambres des cliniques. Là dans la zone transit,
Où le temps vide en vain retient éveillé,
Des bars d’Atlantis un adage se réalise.
Le voyage est une perspective de l’enfer.
In La poésie allemande contemporaine, © Seghers, 2001
Traduction par Philippe-Henri Ledru
Bibliographie partielle
- Passagers d’exil, © Bruno Doucey, Poés’idéal, 2017
Contribution de PPierre Kobel
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