Felip Costaglioli (Espagne/Catalogne)
Ode aux étés qui ne meurent jamais
Aujourd’hui je voudrais embrasser
tous les étés
passés somptueux violents inamovibles
et caresser cet été qui à l’instant
se meurt
combatif et luisant
poisson bleu tiré de l’eau
souriant l’hameçon lui déchire la bouche
et chanter si je peux
tous les étés qui avec toi viendront
ouverts évanouis placides inoubliables
Peut-être me faut-il aujourd’hui décréter
une fois bonne pour toutes
que mes étés ne meurent jamais car ils
nous font
oh chaque année avec eux
nous naissons à nouveau
oui et un peu devenons éternels.
In Voix Vives de méditerranée en méditerranée – Anthologie Sète 2018, © Bruno Doucey, 2018
Traduction de l’auteur
À Sète se tenait du 21 au 28 juillet dernier la XXIe édition du festival Voix Vives. Inutile de se le cacher, cette manifestation n’a pas pu se tenir cette année avec les moyens qui étaient les siens jusqu’à présent. Entre considérations économiques et impératifs politiques locaux, le désengagement financier de la ville a eu des conséquences quant à la gestion logistique et humaine du festival. Là, comme ailleurs, depuis plusieurs années, la culture paie le prix des restrictions budgétaires que les entités administratives à tous les niveaux, de la commune jusqu’aux régions et à l’État, imposent aux citoyens sous le fallacieux d’une argumentation hypocrite, quand elle devrait rester au cœur des enjeux sociétaux et donner son honneur aux engagements politiques. Mais, comme à Sète, c’est le politicien qui l’emporte, la soumission aux pressions querelleuses, aux rivalités et aux échéances électorales.
Réveillé par l’eau
Réveillé par l’eau, pour aller à la mer
Elle m’a réveillé avec la résonance d’une vieille cloche en cuivre
J’ai vu un cheval dans le marché de Saint-Jean-d’Acre
Il n’avait pas de maître, ou c’est ce qui m’a semblé
A-t-il henni en ma direction quand il m’a vu
Ou m’a-t-il pris pour son maître parti se baigner
Puis emmené par une vague à elle-même ?
Réveillé par l’eau, pour aller aux collines de sel
Longtemps dans mon enfance j’ai rêvé des voyageurs en quête de sel
Longtemps dans mon sommeil j’ai marché dans leur sillage
Et je suis revenu seul assoiffé par l’odeur du sel
Apeuré par la femme de Loth protégeant le lac par les cris
Réveillé par l’eau, pour porter l’eau à mes collines
Devenues poussiéreuses par la rudesse de l’été
Ni les alouettes n’y gazouillent
Ni la trace de la meute des loups
Ni une brise de septembre annonçant l’hiver
Réveillé par l’eau,
Alors j’ai pleuré le groupe des absents.
Ibid
Traduction par Aymen Hacen
Malgré ces difficultés et grâce au dynamisme sans relâche de la présidente du festival et de son équipe, cette édition a pu se tenir sans que le festivalier lambda en ressente beaucoup les effets. Comme les années précédentes, durant une semaine, la poésie a été dans la ville, dans les rues, les cours et les jardins, les lectures et les rencontres se sont multipliées. Occasion d’entendre des voix francophones et étrangères, d’aller au-delà de nos frontières langagières, de nos sensibilités et de notre histoire pour percevoir ce que la géographie d’ailleurs, les chaos de l’actualité font écrire aux poètes du monde.
Ils s’envolent et ils tombent…
Ô voûte solitaire de la nuit… –
crâne obscur du chagrin !
Les étoiles grenades éclatées
gisent comme un cerveau fatigué par la fièvre.
La brise alpine descend des montagnes
avec une odeur aigre de neige
les courants silencieux poussent, pressent et égarent-
des populations anonymes dans ton ébène noir.
Ton somptueux calme doué d’entendre
les pleurs des créatures s’épuise.
Les envols sont terminés. Des cerfs ensanglantés agonisent
Dans le foyer fragile du cœur,
mais la perte est un ménage bénéfique :
elle sème partout sans tapage
la paix unie des pleurs.
Souffle, souffle doucement
ô toi polyphonie miséricordieuse de la douleur,
donne-moi la balançoire du possible pour que je te salue
et traverse de bout en bout
les choses que je n’ai pas pu atteindre.
Le cycle est terminé. Que les cloches sonnent
comme si c’était l’ultime nuit,
l’homme n’a pas bien réalisé l’homme,
le cycle s’enterre ici — plus loin il y a ma manie.
Comme le sphynx j’ai peur du matin —
de la feuille noire du jour.
Ibid
Traduction par Élisabeth Chabuel
Ces rencontres sont le moyen d’entendre ce que le barrage de la langue a de paradoxal. s’il empêche celle ou celui qui ne la connaît pas de comprendre le sens précis des mots, il n’est pas un obstacle à la perception des forces d’un texte, avant d’en entendre la traduction. Et la qualité ou la médiocrité de cette dernière apparaît évidente sans même qu’on pratique la langue originale. C’est l’expression de ce que la poésie a d’universel, de sa nécessité en ce qu’elle abolit les frontières humaines. Forme de mondialisation, sans les enjeux commerciaux et sans uniformisation des esprits, qui est bénéfique à l’ensemble de l’humanité.
« Modestement aujourd’hui selon moi, le simple fait d’écrire de la poésie relève de l’attitude humaniste face à une société de l’édulcoration, de la distraction, de la consommation faisant écran aux inégalités de tous ordres. En tant que vivant dans la société le poète dit les choses autrement que ne le disent les spécialistes de la politique, de l’économie, etc. il les montre aussi autrement. Il en dénonce l’horreur, il en révèle la beauté. La poésie est dans le langage, précisément par la langue forgée, ce qui échappe à la langue, ce qui subvertit, ce qui sort du conformisme, ce qui distingue, ce qui fait qu’elle est synonyme de liberté. » dit le poète Jean-Louis Clarac, invité en 2017, dans le numéro de la collection Chiendents que lui consacrent Luc Vidal et ses éditions du Petit Véhicule.
Daniel Maximin (France/Guadeloupe)
Installation
Tu seras sans pays natal, comme les fruits et les oiseaux, dont tu prendras les couleurs et les chants pour édifier un nid-pays
Tu habiteras loin de tout désespoir, ce manque d’espace qui agrandit les déserts
Tu ne vivras pas pour faire honte ou plaisir à tes pères, refermant l’avenir en accoucheur d’ascendants disparus. Et tu n’omettras pas de faire parler les mères car elles ont des racines puisqu’elles portent des fruits. N’essaie pas d’empêcher la mort de vivre et de sculpter, mais ne lui propose rien, ni date, ni échange, ni sursis. Tu dois seulement les morts à devenir ancêtres.
Invente des sèves pour tes racines, éclaire tes rêves et tes nostalgies en fagot d’échardes et de rayons. Et préserve à tout âge la vertu d’enfance. Tu seras fruit assez mûr pour accueillir
Et pour l’avenir, réserve à tes lèvres un mot chaud un silence et un mot frais
avec une harmonie d’odeurs de saveurs et couleurs tissées entre tes mains.
Ibid
*
Dans l’obscurité éblouissante (extraits)
Dans l’obscurité éblouissante
ma voix est l’embrasement des alphabets dans des chaudrons de métal
les significations chutent sur des étendues glacées
le silence du jazz
dans les quartiers africains à Paris
Ou à Berlin
Ou à Washington
les gardiens de l’obscurité déchirent le jour bardés de leurs armes
dressés sur leurs chevaux
*
Dans l’obscurité éblouissante
du froid et du vent
une parole verdoyante
une paume à cinq soleils
illumine l’obscurité éblouissante
elle m’appelle
et je ne viens pas
In Dans l’obscurité éblouissante, © Al Manar, 2017
Traduction par Sali El Jam
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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