Jean-Pierre Duprey, comme Gilberte Dallas, Jean-Philippe Salabreuil ou Armand Robin, déjà présents dans La Pierre et le Sel, fait partie de la cohorte des poètes que Pierre Seghers réunissait en 1972 sous l’appellation de Poètes maudits d’aujourd’hui. Maudits ? Si l’ouvrage de Seghers a le mérite de mettre en avant des auteurs parfois mésestimés et certainement sous-estimés, il faut se demander en quoi les poètes qui se suicident ou finissent dans la misère sont plus emblématiques des difficultés à vivre que le reste de la population. Foin de la polémique ! Tel n’est pas mon but. Et ce qui prime est la langue de ces auteurs qui, toujours, nous interpellent, nous bousculent, nous interrogent.
L’existence de Jean-Pierre Duprey s’inscrit dans vingt-neuf années, de sa naissance à Rouen en 1930 à son suicide en 1959 à Paris. Elle est traversée par l’écriture de trois recueils, de longs silences en poésie quand il se livre à la sculpture du métal et à la peinture, une proximité avec les surréalistes et la caution admirative d’André Breton qui lui écrivait : « Vous êtes certainement un grand poète, doublé de quelqu’un d’autre qui m’intrigue. » C’est à ce même André Breton qu’il fait adresser son dernier recueil quelques instants avant de se pendre.
La brièveté de cette vie n’enlève rien à sa fulgurance. Si Jean-Pierre Duprey, à l’instar des autres auteurs réunis par Seghers, est méconnu du public, il n’en reste pas moins une voix qui a fidélisé des amitiés, celle d’Alain Jouffroy en fait témoignage, a marqué les générations qui ont suivi et dont l’écho se poursuit aujourd’hui.
Si la poésie n’a pas à être associée abusivement au mal de vivre et au désespoir, si son expression est d’abord celle de sa langue, bien au-delà des aléas de l’existentiel, il ressort de l’existence de Duprey, un âpre combat avec le réel, la recherche d’une légèreté libératrice au bord de l’abîme, une vision inventive de l’impossible.
Seize ans
J’ai dominé toute une station de vie
Ma première enfance est entrée dans la pierre
Mes premières larmes sont sorties avec les passereaux
J’ai vu un Dieu, j’ai vu les hommes
Et mes yeux ne se cherchent même plus
Hier je suis allé sur la montagne qu’habita la lune
Et je suis revenu le cœur plein de tristesse
Il ne me reste plus qu’un souvenir et une guitare brisée
Un saule pleureur se dépouille et m’habille de larmes
Qu’est-il de plus triste au monde que de partir sans chanter
In La Forêt sacrilège et autres textes, © Le Soleil Noir, 1970
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Qui dirait
Croisement de l’œil avec la nuit
Fermée bout à bout
Sur le cerveau, comme qui dirait
Cerceau, comme qui dirait
Le saut en rien.
C’est une bouée qu’imagine
La nuit,
De blanc fer imaginaire,
Étale, comme qui dirait
Pétale, comme qui dirait
Spectrale devant un cri.
Or le cri devenu bouche
C’est un cerceau, nul doute,
C’est un cerceau
Fermé, dirait le rouge fer.
C’est moi qui serre, comme qui dirait
Et je saute, comme qui dirait,
Bouée de sang au bout
À bout de l’ombre courbe,
À bout de souffle sur son cri.
Or le cri devenu chair,
C’est cela, comme qui dirait,
C’est bien cela, comme qui dirait…
In La Fin et la Manière, © Le Soleil Noir, 1965
Bibliographie partielle
- Derrière son double, œuvres complètes, édition de François Di Dio, © Poésie/Gallimard (n° 336), 1999
- Jean-Christophe Bailly, Jean-Pierre Duprey, © Seghers, Poètes d’aujourd’hui, no 212, 1973
- Pierre Seghers, Poètes maudits d’aujourd’hui, © Seghers, 1972
Internet
- Page Wikipédia
- Les hommes sans épaules
- Le silence de Jean-Pierre Duprey de Claude Michel Ozanne
Dans La Pierre et le Sel
- Gilberte H. Dallas, Alphabet de Soleils, une contribution d’Hélène Millien
- Jean-Philippe Salabreuil | « Au tympan de la terre où les ailes fleurissent. », une contribution d’Isabelle Lévesque
- Armand Robin, dans « le vertige du langage », une contribution de Roselyne Fritel
Contribution de PPierre Kobel