Dans l’espace du verger, dans les gestes qu’il nécessite, dans le temps et les aléas des saisons, Cédric Le Penven inscrit une longue réflexion sur l’homme, ses blessures, sa quête de paix et de sagesse. De l’arbre planté aux fruits récoltés, c’est un parcours sans fin, un renouvellement de la vie, une respiration de la nature, un chant des mots.
le premier automne, j’ai creusé trente trous pour planter les arbres de mon verger
après avoir décollé la couche d’herbe en la sarclant, je me saisis de la bêche et commence à retirer des mottes compactes. Je les arrache au sol et les rabats avec vitesse pour qu’elles se rompent, à côté du trou où elles retourneront lorsque j’aurai fini de les travailler et de les amender
l’essoufflement vient vite mais la colère perdure : elle se nourrit de cette profondeur qui s’offre au regard, de ces scarabées noirs et luisants interrompus dans leur songe qui accomplissent des gestes lents et inutiles, sans parler des larves grasses ni de cette molle ondulation qui les pousse en avant
tu constates qu’un lombric digère la terre qu’il traverse
toi, tu creuses jusqu’à ne plus pouvoir tenir debout
et tu n’épuises rien
In Verger, © Unes, 2019, p.29
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un peuple nu fait mine de dormir
dans le brouillard le faisceau d’une lampe de poche
cherche la chienne qui s’est enfuie
(elle poursuit le chat venu éventrer les poubelles cette nuit)
de loin, je dois ressembler à un phare embarqué sur un bateau qui ne sait plus où est la côte, où est le large
dans quelques jours la nuit cessera, enfin, de gagner sur le jour
elle est si profonde ce matin que je ne crois plus en l’aube
c’est ainsi que l’hiver passe le mieux
l’atrabilaire s’exprime au-dessus d’un évier propre
In Verger, © Unes, 2019, p.49
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un homme marche dans un verger
une source lente et brûlante gagne son visage
ses yeux s’emplissent de larmes, le vert des ramures se trouble
se mêle au bleu, à la fraîcheur de ce matin de mai
les chants d’oiseaux lui parviennent avec une telle acuité qu’il recule de quelques pas pour se dérober aux mélodies qui le percent
les artichauts poussent leurs têtes couronnées, le groseillier ravit son fils chaque soir au retour de la crèche
quelques cerises même, avaient pu échapper au gel. Elles se révèlent au regard et à la bouche grâce au rouge qui les empourpre
ce bonheur trop soudain navre celui qui ne supporte plus son propre regard
le rappelle à ces mois passés gorge obstruée, boule au ventre
cœur qui bave à la poupe
In Verger, © Unes, 2019, p.64
Internet
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Cédric Le Penven dans Terre à ciel
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Éditions Unes | Cédric Le Penven
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Sitaudis | Thierry Metz de Cédric Le Penven par François Huglo
Contribution de PPierre Kobel
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