Depuis le succès de son livre, Joseph Ponthus n’a cessé de profiter des invitations dans les médias pour rendre un hommage appuyé à Thierry Metz et en particulier au Journal d’un manœuvre.
Il faut lire Le Journal d’un manœuvre de Thierry Metz
Ce livre est un chef-d’œuvre
[…]
Un poète dit-on au gré des sites
Plus que ça
J’ai illico commandé tous ses autres
Plus que de l’épure
Cette langue
Ce vers quoi je voudrais tendre
Ces mots
Ce silence du travail
In À la ligne, © Folio/Gallimard, 2020, p.76
Alors que la parution du livre de Ponthus en format de poche coïncide avec une réédition du livre de Thierry Metz dans la même collection, c’est l’occasion de mettre en regard ces deux langues qui, au-delà d’un abord différent du monde ouvrier, nouent de secrètes connivences et tentent, chacune à leur façon, de redonner sa juste place au travail manuel à qui la modernité sans mémoire et l’économie sans humanité ont enlevé sa dignité.
Au milieu de la nuit le bruit des machines
s’adoucit un peu
Il me demande pourquoi je suis à l’usine
Je lui réponds comme à tous la simple et belle vérité
Avoir tout quitté pour épouser celle que j’aime
S’être marié
La joie d’être là
Et l’usine bah faut bien bosser
Un bébé pour bientôt s’enquiert-il de suite
On espère tout autant qu’on y travaille
Lui aussi va se marier bientôt
Beaucoup de choses à préparer
Il panique un peu mais ils avancent
Plus loin dans les bribes de mots que nous
échangeons il m’apprend que j’habite non loin
de là où travaille son copain
Quelques jours plus tard je file un coup de main
dans une autre équipe
On me parle de son mariage
Ils voulaient se pacser mais avec la nouvelle loi
c’est plus simple pour adopter s’ils se marient
Je souris tendrement
In À la ligne, © Folio/Gallimard, 2020, p.48
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13 juillet. — Un homme, une caisse à outils. Antoine est arrivé ce matin : une vraie plume mais ni maigre ni chétif. Énergique, vif. En un rien de temps, il s’est fabriqué une sorte d’établi le long de la palissade. Son travail : tresser les ferrailles, semelles, piliers, linteaux, préparer les coffrages. Il a du métier, comme on dit. Et des mains de sourcier, de derviche ; ça va vite, ça s’éclaire d’un coup. Ses outils : un jeu de griffes pour tordre les fers, des pinces coupantes, une petite et une grosse cisaille.
Dans l’après-midi, Ahmed et moi l’avons aidé à plier les barres de 16, grosses comme le pouce. Pourquoi, soudain, en plein effort, ce rire fou, ce rire qui nous montait des mains comme un oiseau grimpeur ? Impossible de continuer, c’était là, dans l’air, à hauteur des visages : une aile.
Ascendante jusqu’au soir.
In Journal d’un manœuvre, © Folio/Gallimard, 2020, p.63
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« De ce lieu souterrain, je n’ai rien à dire. Je sais
qu’il eut lieu et que, désormais, la trace en est
inscrite en moi et dans les textes que j’écris. »
Georges Perec
Les Lieux d’une ruse
Ma vie n’aurait jamais été la même sans la psychanalyse
Ma vie ne sera plus jamais la même depuis l’usine
L’usine est un divan
In À la ligne, © Folio/Gallimard, 2020, p.173
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On passe d’une chose à l’autre. Très vite. Pas moyen de s’arrêter une seconde pour désigner le nuage. Et plus loin : les violences. Personne ici ne pourrait parler du feu. Tout reste entre nous. Jamais dit.
On n’est convié à rien puisqu’on n’a pas de mots.
Que des outils…
C’est tout.
Écris ton poème maintenant.
In Journal d’un manœuvre, © Folio/Gallimard, 2020, p.59
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L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière
dire à un de ses collègues
« Tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement
speed que j’ai même pas le temps de chanter »
Je crois que c’est une des phrases les plus belles
les plus vraies et les plus dures qui aient jamais
été dites sur la condition ouvrière
Ces moments où c’est tellement indicible que
l’on n’a même pas le temps de chanter
Juste voir la chaîne qui avance sans fin l’angoisse
qui monte l’inéluctable de la machine et devoir
continuer coûte que coûte la production alors que
Même pas le temps de chanter
Et diable qu’il y a de jours sans
In À la ligne, © Folio/Gallimard, 2020, p.203
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20 juin. — Le bâtiment qui nous abrite est peuplé de pigeons. Ils sont là depuis des années. On trouve des plumes partout, on entend des nids. Tôt le matin, avant de fuir le bruit, ils se rassemblent sur les bordures de fenêtres, sur l’arête des dalles, hors de portée. Ils quittent leur immense volière et se dispersent au-dessus de la ville, nuage d’ailes blanches et grises.
Pour nous, le travail recommence. Au sol. Je redeviens l’homme-taupe tandis que je devine, là-haut, dans l’imaginaire du chantier, des roucoulades amoureuses.
In Journal d’un manœuvre, © Folio/Gallimard, 2020, p.30
Qu’ils évoquent les visages, les paroles rares, le corps fatigué, le temps des gestes répétitifs, l’un comme l’autre ont su trouver un rythme d’écriture qui traduit cela avant que, par les mots, ils ne donnent à cet univers une prégnance pour rendre habitables les heures qu’ils y passent. Dans l’humour et l’ironie de Ponthus comme dans la lenteur puissante de Metz, il y a une profonde empathie pour la dimension humaine de leur existence, une attention soutenue à leurs compagnons de vie. Quand l’écriture se fait souffle et main tendue.
Bibliographie partielle
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Thierry Metz Journal d’un manœuvre, © Folio/Gallimard, 2020
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Joseph Ponthus À la ligne, © Folio/Gallimard, 2020
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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