Rien ne sert de s’arrêter à la douleur si on peut l’écrire. C’est la réflexion qui me vient à la lecture du recueil de Dahlia Ravikovitch, Même pour des milliers d’années publié par Bruno Doucey en 2018. Dans la postface, Sabine Huynh écrit : « Dahlia Ravikovitch, la femme qui maîtrisait l’art de la contradiction, de la souffrance, et celui d’être fragile, qui est une force puisque c’est l’art d’être soi ; la femme qui savait que l’angoisse de vivre découle à la fois de la difficulté d’être soi et de l’impossibilité de ne pas être soi ; la femme pleine d’espoir et de désillusions : “Hier j’étais un creux / aujourd’hui je suis un coquillage / Demain je suis demain.” »
Une personne qui offre les apparences de la contradiction, mais dont l’écriture est à la hauteur d’une haute poésie. Loin des pièges de la sensiblerie et de la confusion entre poésie et bons sentiments. Si Dahlia Ravikovitch fut un être de douleur, elle reste aujourd’hui, quinze après sa disparition, une des grandes voix passionnelles et engagées de la poésie hébraïque contemporaine.
Autre tentative
Si je pouvais te posséder et tout de toi
pour autant que je puisse avoir tout de toi,
mieux que les idoles adorées,
plus que les montagnes les mieux taillées :
et les mines
de charbon ardent,
ou bien les mines de charbon consumé
et la buée du jour brûlante fournaise.
S’il était possible de t’avoir pour toutes ces années
si tant est possible en toutes ces années de t’avoir,
comment est-il possible d’allonger un seul bras
comme celui d’un fleuve africain
comme on voit dans un rêve la baie des Tempêtes,
voit-on dans un rêve un bateau qui coule,
de même qu’on imagine une couche de nuages,
imagine-t-on des roses de nuages comme le lit d’un corps,
malgré toi, ils ne te porteront pas,
ne crois pas qu’ils le puissent.
Si on pouvait avoir tout de toi en toi,
si on pouvait te posséder comme le métal,
peut-être comme des piliers de bronze,
ou comme un pilier de cuivre pourpre
(celui dont je me suis souvenue l’été dernier)
et le fond de la mer que je n’ai pas vu
et le fond de la mer que je vois
avec un millier de coussins d’air
et mille et une respirations lourdes.
Si je pouvais avoir tout de toi maintenant
et que tu sois à moi pour moi comme moi-même.
In Même des milliers d’années, p.20
Bibliographie partielle
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Dahlia Ravikovitch | Même pour des milliers d’années, © Bruno Doucey, 2018 — Traduction de Michel Eckhard Elial – Postface de Sabine Huynh
Internet
Contribution de PPierre Kobel