Alors que nous allons de nouveau devoir rester enfermés durant quatre semaines au minimum, chaque jour un texte pour dire la liberté des mots et la foi en l’avenir.
Régine Detambel
Caresse : réflexion et coïncidence des peaux tangentes. L’épaisseur de la chair entre toi et moi n’est pas un obstacle entre nous. L’amour lance des ramifications entre le dehors de ton monde et le dedans du mien. Je n’ai même pas à sortir de moi pour t’aimer.
Tu me tapisses. Ma peau est au cœur de ce que je veux voir de toi. Où mettre la limite entre toi et moi puisqu’il y a insertion réciproque et entrelacs de l’un dans l’autre ? Puisque je suis désormais prise dans tout ce que je peux voir de toi. Je ne verrai jamais l’intérieur de ma peau — ses membranes secrètes — mais je sais qu’il se dessine dans la vision que mes mains ont de toi.
Les corps qui s’attirent ne vont jamais jusqu’à se fondre. Si je suis toujours dans le désir de toi, c’est que je ne te possède jamais tout entier dans mes mains. Car, pour t’accueillir pleinement dans ton être tangible, je suis toujours du même côté de ma paume. Et n’ai d’ailleurs de moi-même à t’offrir que cette perspective invariable.
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La caresse est l’ensemble des cérémonies qui incarnent autrui.
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Autrui me donne ce qu’il n’a pas, ma chair à moi. Et je lui donne ce que je n’ai pas : sa chair à lui.
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Faire l’amour : sentir, faire sentir et sentir que l’on fait sentir.
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Dans la caresse, rien ne s’oppose. La peau n’y résiste pas. Au contraire, le déroulement d’une éternelle percevante, en renouvellement continu, et qui n’en finit pas de se déployer sous les doigts d’autrui. Dans la caresse, l’éphémère n’en finit pas. Il faut inventer pour elle l’imaginaire du vent. La caresse serait vent-couleur, vent-saveur, vent-résonance. Un invisible sans opacité, à la limite du sensible et qui épouse l’appel de l’air emprisonné sous l’autre paume : un souffle-image.
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Une vie ne remplit pas une peau, elle n’achève pas un épiderme. Non finito. Tes caresses n’en finiront jamais de dessiner ma peau. Car elle est toujours forcément esquisse, maintenue au plus près de son invention, dans la tension de ce surgissement. Elle déborde le monde de tous côtés. Inachèvement justifié car la perception elle-même de mon corps, sur la page du monde où tu vis, n’est jamais finie.
In Petit éloge de la peau, © Folio/Gallimard, 2007
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Contribution de PPierre Kobel
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