La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
Frères mes taciturnes aux visages d’épis sous la faux
Qui dira vos rires comme une volée de coups de poing dans les portes
Et le blé de vos visages
Vous marchez sur les solives de la nuit
Ou dans le soleil comme un carosse
Et chacun de vos gestes remet le ciel à sa place
Entre le mur et les collines
Frères mes taciturnes aux visages tristes de lierre
Qui dira vos gestes d’arbres qui s’éloignent le long des trains
Et vos mains qui froissent les jupes des prairies
Vos mains de catastrophe dans les tiroirs de la poésie
Sur les mancherons de la charrue
Et sur la gorge des pigeons
Chaque nuit vous rassemblez les roseaux de votre peine
Chaque nuit vous remontez à la force des poignets
À grands coups de cœur
Par les échelles de craie de l’aube
Portant sur vos épaules plus fortes que l’épaule d’un navire
quelques cris d’oiseaux ou des éclats de pierre à feu
Frères mes taciturnes au visage de foin coupé
Qui dira le bocage de vos tristesses à l’avant de vos mains
Et votre mal de jonc des marais
Nos yeux qui s’en vont avec les trains et les navires
Vos yeux dans toutes les serrures des forêts
Et la glaise de vos cœurs
Vous pleurez en traversant les villes
Quand la mer dételle ses chevaux
Vous portez à bout de bras les hauts visages de la pluie
Et les arbres se couchent dans vos voix
Quand vos mains tombent en chantant le long du ciel
Comme des oiseaux tués par l’orage
In Visage premier, © Rougerie, 1963
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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