La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
Convalescence expresse de l’avidité
À midi j’entends l’homme de la loterie
inviter les acheteurs au rire du hasard.
Je repousse la vigilance
qui prend toute la place et m’adonne
à une folle rêverie,
comme quoi ma vie serait changée immensément
si je gagnais une fois
un gros lot démesuré.
Je reconstruirais mon expérience avec vue
sur les chambres d’hôtes à l’infini dans la verdure.
Toits penchés de peur que stagnent
théâtres et larmes intempéries des rôles.
Dans les jardins statues éparses
coiffeurs pour prévoyance et diversité.
Statues et lignes des jeux d’eaux
pour que pêchent les fontaines à leur aise.
Une mystérieuse longueur admiratrice muette
suivra les allées en silence
marchant dans le bruit même
des pas qu’elles abandonnent
en progressant. Jusqu’à
les perdre soudain ; elles se cacheront à lui
dans un autre plan de promenade.
J’achèterais ports voitures montres vertigineuses
à chacune de mes heures son chauffeur personnel
passerait la prendre ; j’achèterais toute
la ligne la plus déserte, meublée
de passagers nouveaux
et de fumées grand luxe ; je remettrais en route
mon premier train lointain,
jeune mariée que j’étais ignorante
des caresses de frontières
de l’insomnie des gares et des lieux étrangers
qui négligemment secouaient la cendre de leur nom
dans les yeux de la vitesse et filaient.
Wagon-lit ; découvrant alors
le canapé devenir couchette
j’ai voyagé pour voir que tout se transforme
du reposant au plus reposant.
J’empoignerais repousserais lèverais
piétinerais menacerais éparpillerais penserais
détruirais et reconstruirais en trois jours
et serais craint des privations.
Pour être arrogamment puissante
au point d’acheter ta résurrection.
Tu as bien entendu, ne sois pas triste,
ta résurrection.
As-tu jamais vu un miracle refuser une faveur
à une chance de conte de fées ?
Tout ce que j’ai gagné je le rendrais sans marchander
et nous rentrerions, incroyables, à pied chez nous.
Tu t’allongerais là, dans ta continuation.
Je te rejoindrais, voisine immensément.
Et m’assurant que tu t’es bien attaché
à ton corps, que tu as bien boutonné
ton retour en toute sûreté
je m’adonnerais tout doucement
à une folle rêverie,
comme quoi ma vie serait changée immensément
si je gagnais une fois
un gros lot démesuré.
In Le peu du monde suivi de Je te salue Jamais, © Poésie/Gallimard, 2010
Traduction de Michel Volkovitch
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La Pierre et le Sel | Kiki Dimoula, une poétesse de l’absence par Hélène Millien
Contribution de PPierre Kobel
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