La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
Donnez-lui un levier et un point fixe et elle soulèvera le monde
Donnez-lui une épaule pâle et une tenaille et elle
arrachera la dent de lait de la nuit
Donnez-lui des bras d’écluse et elle éteindra le jour
Donnez-lui un matin au couteau et elle saignera
l’indifférence
Donnez-lui un arbre à abattre et elle fendra ses eaux gelées
Donnez-lui un pur-sang et une orange et elle éclaboussera
le soleil de sang
Donnez-lui un cœur à dévorer et elle crachera ses fils
Donnez-lui des mains rageuses et elle saura le faire cabrer
Donnez-lui un bois sombre
Donnez-lui une langue bègue
Donnez-lui une nuque rousse
Donnez-lui un sein dur
et des somnambules à hauts talons
Dans un grand éclat de rire
géante sur la falaise
plus nue que nue
Qu’elle redonne au monde son Antigone
à la terre sa torpeur
au gouffre ses ronces
Qu’elle voile les yeux secs
pende son cœur à son cou
son éclat entre ses cuisses
Déchirées nos étoiles jaunes dans un sanglot
Fermés de frayeur nos yeux
Tombé le rocher des solitudes
La nuit transpirera de jour
Les orages sous la terre seront striés de ferveur
Les voyageurs en haillons devenus loups blancs
In Une femme en crue, © Bruno Doucey, 2021
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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