La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
Difficile
Je veux te dire que c’est difficile
de construire quelque chose de nouveau
dont tu ne fais pas partie :
ce n’est pas ta faute, simplement
je ne suis pas assez solide
pour nous porter, nous deux.
Je veux te dire que c’est difficile
d’admettre que je t’aime,
mon amour pour toi est tenace et silencieux.
Nous nous ressemblons trop :
nous avons les mêmes façons d’être furieux,
nous avons les mêmes façons de ne pas répondre,
nous avons les mêmes façons de disparaître
et nous sommes de la même manière
adorablement impertinents et si mignons
et drôles évidemment.
Je veux te dire que c’est difficile
de faire comme si tu n’existais pas.
En vieillissant je sais que mes peurs vont m’aveugler,
que je serai paralysée d’angoisses,
incapable de prononcer certains mots
incapable de revoir certaines personnes,
incapable de m’abandonner à certaines émotions,
incapable de tant d’actes
qu’il faudrait un autre poème
pour les lister tous.
Alors j’écris ces choses-là pour, le jour venu,
me rappeler que j’ai eu dans ma jeunesse
la possibilité du langage.
Je veux te dire que c’est difficile
de t’aimer comme je t’aime
sans un mot, sans un geste tendre, avec cette flaque
suppliante au fond des yeux et cette rage au bord
des lèvres.
Je ne retournerai pas dans nos moments :
maintenant que je suis presque une bonne bête
domestique
tout ce qui se trouve de l’autre côté de la barrière
me fatigue d’avance et je regarde
ce paysage un peu gris où soudain ton sourire
m’éclabousse
les soirs de très grande culpabilité.
In Les ronces, © Le Castor Astral, 2021
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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