La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise,
il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente et la colonne vertébrale qu’elle est pour aller au-delà du discours quotidien, du réel. Pour se laisser ravir et ravager.
je n’ai jamais dit papa
à yvon le men, qui comprendra
à paul marchand aussi,
qui est de la même race
je n’ai jamais dit papa
je ne le dirai jamais
je n’ai aujourd’hui
plus honte de le dire
le temps a passé
où je serrais ton absence
dans les replis
de ma gêne
de ma pudeur vaste et sèche
comme une étreinte paternelle
le temps a passé
mais il m’arrive encore
de chercher ce mot
ou un autre qui lui ressemble
cela m’arrive parfois
au détour d’un cauchemar
ou parce que je n’ai pas su
battre les ténèbres
sous mes pas
et quand ma main croit le trouver
c’est pour se refermer
sur la poussière
de mes bégaiements
échos vides de mes pas d’homme
je n’ai jamais dit papa
et ne le dirai jamais
je n’ai plus
honte de le dire
le temps a passé
aujourd’hui à qui le dire
ces rumeurs sourdes de l’absence
derrière leur masque d’insouciance
ces ténèbres au bleu abyssal
la crainte du vide aussi
aucun bras jamais
ne sera assez fort
pour les renvoyer
au cri primal
je n’ai pas de photo d’enfance
ensemble nous n’en aurons jamais
de toi je n’ai que ce cliché
du mariage où mes rêves orphelins
traçaient en vain
la couleur de ton rire
le temps a passé
où je craignais son absence
le temps a passé
je l’ai retrouvé depuis
dans les yeux de mon fils
jacmel, 12 juillet 2006
In Ces îles de plein sel, © Points, 2021
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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