Une des caractéristiques de ce festival, c’est de faire descendre la poésie dans la rue. Rien d’une manifestation revendicatrice et bruyante. Les bruits ce sont parfois les pétarades d’une mobylette, la radio un peu forte qui s’échappe d’une fenêtre laissée volontairement ouverte par celle ou celui que notre présence festivalière importune. Est-ce que j’en ai besoin, moi, des poètes ? Le Sétois fulmine, s’emporte et ronchonne contre ces touristes particuliers qui l’empêchent de circuler chaque fin de juillet parce qu’on ferme des rues aux voitures. Quelle idée, me direz-vous, que de venir perturber ses habitudes pour débiter des âneries qui ne servent à rien !
Ne servent à rien ? Ah oui ! Les poètes ne sont pas là pour faire du beau, du joli, du béni-oui-oui d’élégie bien tournée, du vers léché qui ne dérange personne.
Si la poésie est dans la rue à Sète durant ce festival, c’est parce que ses créateurs ont compris qu’il est temps qu’elle y redescende partout, qu’elle séduise, qu’elle provoque, qu’elle bouleverse, qu’elle conteste, qu’elle délivre une parole libératrice et révélatrice. Qu’elle sorte aussi d’un confinement plus ancien que ce lui qui nous pèse aujourd’hui et qu’elle parle à tous.
« La poésie chemin de paix », est-il écrit sur l’affiche de cette édition de Voix Vives. La poésie est dans la rue pour dire que ce ne sont pas de vains mots. Elle participe de ce chemin, de cette paix. Au-delà du dérangement passager qu’elle impose à certains, elle descend dans la rue pour aller de l’avant dans un monde qui se regarde trop souvent le nombril, un monde de soumission et d’aveuglement.
La poésie est révolte et voyance.
Florentine Rey
Demain (fragments)
Demain je nettoie ma maison épuisée dans un grand baquet je décroche le plafond la vaisselle je rabaisse les murs au sol et remplace les prises à la pause je tire les poignées de porte les rebords dans la cuisine grasse je vide l’hiver au fond de l’évier
*
Demain je rêve jubilatoire avec mon amoureux en espagnol plus fun je commence la gym mes affaires en retrait de ma bulle travail nouvelle vie à deux l’inattendu dès l’aube toutes les portes à ouvrir je suis prête
*
Opération réussie demain je recommence les mouvements de bascule tournée face au soleil j’inspire à travers les feuilles du pommier je m’agrippe au bord avant de me lever pour m’aider à plat sur le lit je me laisse retomber j’aime voir le temps au loin l’odeur de café
*
Je ne sais pas attendre entre parenthèses une tournure de départ aggravée dans l’enfance je m’élève seule jusqu’au prochain chapitre demain légère je respire en paix la blessure de mes empêchements mes yeux sont des rivières
*
Demain se rapproche et s’éloigne sans cesse nous parlons de tout et de rien je te serre dans mes bras tu viens m’attendre comme chaque fois dans ce rêve que je fais depuis si longtemps tes gestes ta tendresse ce sont ces heures-là que je désire le plus respirer ton parfum
*
Les angoisses sous la main trop souvent pourquoi toujours penser à demain ne pas savoir ce que sera chacun prisonnier d’un futur empêché demain je ferai de mon mieux et tout ce qui suit pour sortir du chagrin
In Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée – Anthologie Sète 2021, © Bruno Doucey, 2021
Contribution de PPierre Kobel
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