La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
María Mercedes Carranza
Quand j’écris assise sur le sofa
Semblable à l’image de mon visage dans le miroir,
sur la porte lisse et vernie d’une armoire
je me souviens de mon visage renvoyé par la lumière,
dans mes mots je cherche à entendre le son
des eaux stagnantes, troublées
de racines et de boue, que je porte en moi.
Non pas cela mais peut-être un souvenir :
revenir à l’un de ces jours-là
là où tout brillait, les fruits dans leur corbeille,
les après-midi de dimanche et le soleil encore ?
Le bruit des pas dans l’escalier
qui parvenait jusque dans mon lit dans la chambre obscure
comme sur un disque rayé je veux entendre mes mots.
Ou peut-être n’est-ce pas non plus cela :
seulement le frémissement de nos deux corps
se mouvant à tâtons pour survivre juste à l’instant.
J’écris assise sur le sofa
d’une maison qui déjà n’existe plus, je vois
par la fenêtre un paysage détruit lui aussi ;
je converse avec des voix
dont les bouches sont maintenant sous terre
et je le fais en compagnie
de quelqu’un qui s’en est allé pour toujours.
J’écris dans l’obscurité,
parmi des choses sans forme, comme la fumée qui ne revient pas,
comme le désir qui naît à peine,
comme un objet qui tombe visions de vide.
Mots sans destination
et que très probablement personne ne lira
comme une lettre renvoyée. Ainsi j’écris.
In Un autre chemin, © L’Oreille du Loup, 2013
Traduction de Brigitte Le Brun Vanhove
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Contribution de PPierre Kobel
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