La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Les boucles d’oreille en corail
Tout ce qui nous quitte déjà
et qui s’enfonce dans le passé
perd en route une bonne partie
de ses propriétés.
Le mal pâlit, on oublie le péché,
le vin s’aigrit
et les baisers figés sous la voûte céleste
se font chanson.
Quand je rêvais de tes bras, j’inventais des vers.
J’arpentais ma chambre
et je les récitais contre une fenêtre vide.
Ah, quels vers !
Ils n’étaient pas trop savants,
mais pleins de désir inassouvi
et de mots passionnés.
Tu pressais ta paume contre ma bouche
pour me faire taire
et tu défendais ardemment
tes petites oreilles surprises
pendant que le bout de ma langue
errait déjà dans leurs plis roses
comme dans un labyrinthe.
Souvent je dormais sur ton cœur,
respirant avidement le parfum
de ta peau brûlante.
Les rêves qui s’approchent subrepticement
pour s’emparer du dormeur dans le noir,
avaient la couleur de tes yeux.
Ils étaient bleus.
Et les perles de corail embué de tes boucles d’oreille
se posaient doucement sur mon front
telles des gouttes de cire à cacheter.
Aujourd’hui, quand je pose mon vieux visage
dans mes mains,
je sens distinctement au-dessous des doigts
les contours de mon propre crâne.
Avant, je n’y pensais jamais.
Je ne mettais pas non plus ma tête dans mes mains.
Il n’y avait aucune raison.
Et le terrible désir d’être,
même sans joie, même sans espoir,
attache sans cesse des ailes noires
à ma part du non-être.
Mais, quand je serai vraiment mort,
du silence de la glaise
vers tes pas sanglotera encore
mon amour.
In Être poète, © Le Temps des Cerises, 1998
Traduction du tchèque par Jana Boxberger
Internet
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Wikipédia | Jaroslav Seifert
Contribution de PPierre Kobel
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