La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Les mots jaillissent des mots, du fond de mon esprit, pour se déployer en vagues successives ou qui se chevauchent, parfois se dépassent, emportées par l’élan. Je les écoute. Je les regarde. Je les touche. J’en goûte le sel par le mental. J’en respire en moi-même l’écume. Ce sont des phrases-océans qui me traversent ; en même temps je déferle avec elles, frêle esquif ballotté par tous les courants et dont la voile frissonne au moindre vent. Je repars avec elles par le ressac, regagnant le large, soudain loin des rivages, dérivant peut-être vers des îles oubliées ou encore inconnues, rêveur utopique d’une nouvelle géographie de la pensée. Mais les mots peuvent aussi jaillir des choses. Il arrive que cela commence comme ici, par un regard jeté par la fenêtre. Il y a cette présence, là dehors, qui se révèle à mes sens et qui me renvoie à ma propre présence. Mon être peut s’en trouver illuminé ou obscurci. C’est une sorte de stupeur qui ne va pas sans une certaine ivresse. Je suis dans l’émotion de la perception à l’instant même où elle se produit, avant toute formulation par la parole ou même par la pensée. Certes, les mots se manifestent presque tout de suite. Je vois cette forme ligneuse qui s’élance du sol, s’enroulant sur elle-même en spirale grimpante très resserrée, turgescente, avant de se ramifier en bras disparates qui lèvent et agitent leurs multiples mains ridées en une sorte de clameur frissonnante : je nomme l’arbre, avec son tronc, ses branches, ses feuilles jaunies et le vent qui souffle et qui secoue. Mais la langue du monde n’est pas la parole des hommes. Par les mots, je m’approche, je m’éloigne, je reviens, je tourne autour d’un point innommable qui est dans les choses. Il y a ce que je dis du monde et ce que je ne dis pas, que je ne peux pas dire par incapacité de ma langue. Comment exprimer l’être par le sens ? Comment traduire l’indicible ?
In Un soupçon de présence, © Le Cadran ligné, 2015
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Passager clandestin de la pensée, le blog personnel d’Alain Roussel
Contribution de PPierre Kobel
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