La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
St Botolph’s
Notre revue n’était qu’un prélude
À la soirée, à la fête. J’avais prédit
Un coût désastreux : une certitude
Planétaire, selon le livre de Prospero.
Jupiter et la pleine lune en conjonction
Opposés à Vénus. D’après ce livre,
Un coût désastreux. Particulièrement pour moi.
Pour mon Soleil natal, une conjonction explosive.
Vénus, clouée en plein centre de mon ciel.
Pour un astrologue fataliste, ce n’est rien ou presque,
Un frôlement d’aile de chauve-souris, facile à exorciser.
Notre Chaucer serait resté chez lui, avec son Dante.
Il aurait cherché à localiser les planètes avec plus de précision,
Approfondi ses recherches. Quoi d’autre ? J’ai laissé
De plus sérieux astrologues s’inquiéter
De cette conjonction, mon Soleil et ta planète natale Mars.
Et Chaucer
Aurait attiré l’attention sur la position, ce jour même,
Du Soleil en Poissons, en conjonction avec ton ascendant,
En opposition précise avec mon Neptune,
Et fixé dans ma Maison Dix,
Celle de la fortune, bonne ou mauvaise.
Notre Chaucer, je crois, aurait soupiré.
Il nous aurait convaincus, d’un triste hochement de tête,
Ce jour où le système solaire nous a mariés
Que nous le sachions ou non.
Falcon Yard :
Une petite amie comme une arbalète chargée. Les ondes sonores
Jouées, torturées, par le groupe de jazz Joe Lyde’s Park.
Le couloir
Comme le pont incliné du Titanic :
Un film muet, avec tout ce vacarme au-dessus. Soudain —
C’était une idée de Lucas — soudain, toi.
Première vision. Premier instantané, unique,
Irrévocable, fixé dans un flash.
Plus grande
Que jamais ensuite. Si mince, te balançant ,
C’était comme si tes jambes d’Américaine, longues, parfaites,
N’en finissaient pas. Cette main, s’ouvrant toute grande,
Ces longs doigts, ceux d’une danseuse, ou d’un singe.
Et le visage — une boule de joie, serrée.
Je t’ai vue là, plus radieuse, plus réelle
Que pendant toutes les années qui ont suivi,
Comme si je t’avais vue cette fois-là seulement, et plus jamais.
Tes cheveux flottant librement, ce rideau
Tendu sur ton visage, ta cicatrice. Et ton visage
Une balle de caoutchouc, une boule de joie
Autour de ta bouche, rieuse, aux lèvres d’Africaine,
Peintes en rouge, rouge sombre, épais. Et tes yeux,
Serrés, perdus dans ton visage, un faisceau de diamants
Incroyablement brillant, brillant comme un faisceau de larmes,
Des larmes de joie peut-être, un concentré de joie.
Tu avais l’intention de m’abasourdir
Avec ta vivacité. Du reste de cette soirée,
Je ne me souviens de rien ou presque
Je me suis échappé avec ma petite amie. De rien
Sinon de sa fureur près d’une porte,
Et de ses questions sur ton foulard bleu dans ma poche,
Et l’empreinte de tes dents, un arc de cercle enflé
Qui allait marquer mon visage un mois durant,
Et moi pour toujours.
In Birthday Letters, © Poésie/Gallimard, 2015
Traduction par Sylvie Doizelet
Bibliographie partielle
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Connie Palmen, Ton histoire Mon histoire, Actes Sud, 2018 – Ttraduction par Arlette Ounanian
Internet
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Wikipédia | Ted Hughes
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Wikipédia | Birthday Letters
Contribution de PPierre Kobel
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