La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Tu lis ton ascendance
À Marguerite David
ma mère
Tu peux marcher sur la tourmente des brumes
quérir ta paysanne genèse dans les hameaux déserts
la chair est d’argile de ton clan dévasté
et le vent du Cragou dans les sapins résignés
craque un requiem aux marnes lascives
Quel néant hurlant d’ahan !
Toi, fils des rois, fils de rien
Tu lis ton ascendance sur le livre des brandes
mais sur les tombes de roc le cri du corbeau Brann
et les portes branlantes au couchant des masures
te clament des morts d’ambre dans le fond des brisures
Toi, fils des rois, fils de rien
Tu peux rêver ta marche et ta complainte
les merles frileux te disent de filer
et les fous emmurés dans leurs solitudes
proclament de te taire
Non pas le royaume des morts
mais l’asile – et la plainte verte du genêt
dans les crânes qui chavirent
Toi, fils des rois, fils de rien
Le Bréou, Leintan, Lannéanou
Nul sortilège, nul rire aux lieux des parentages
mais la boue sur la boue
Et le houx gèle aux feux des murets
Toi, fils des rois, fils de rien
Sur les toits crevés, l’empire sépulcral du hibou
la houe ne crisse plus dans la gorge des hectares
Où sont les colombes qu’émouvaient les greniers
engorgés de jeunes semences ?
Toi, fils des rois, fils de rien
C’est pourtant là que subsiste ton royaume
la mort peut chanter victoire de ses gencives de chienne
glapir ses jaunes triomphes dans le chancre des façades
la mort elle aussi est mortelle
puisque ton sang gicle au cœur de l’aubier
sa sève fabuleuse
Toi, fils des rois, fils de rien
Voici que tu perpétues l’ascendance et les villages
car la mort elle aussi trépassante
s’essouffle contre la vie que tu enfantes
en semant le verbe aimer
Va, chante, marche sur les jachères
secoue le front des granges de ton épaule charnelle
de ce pays de misères refais un pays de Chanaan
Non plus la plainte d’ahan dans les fougères
Non plus la mortelle agonie des humaines lignées
mais la vigueur que royalement te lèguent
le testament du chêne, l’ordre du cyprès
In La Sòne, des pluies et des tombes, © Kelenn, 1976 ; rééd. © Calligrammes, 1990
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Wikipédia | Xavier Grall
Contribution de PPierre Kobel
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