La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Le chant de la tasse de thé
Nous posons nos mains à côté de la tasse
sans savoir que la porcelaine et l’os
sont des formes proches d’une même substance.
Ma main et la tasse nacrée
– modérons le lyrisme par l’ironie –
sont encore familières des ptérosaures.
L’après-midi tranquille inonde la baie vitrée.
J’entends le bruit de l’eau qui coule de la fontaine,
les merles m’épient sur la tonnelle sans feuilles.
C’est ainsi que le thé souvent me rappelle :
ma main de pierre, l’après-midi paisible,
le coup d’œil des merles, le bruit léger de la fontaine.
La Nature imite ce tableau
de fin d’après-midi que j’ai peint pour moi-même,
il me récompense des poèmes que j’ai faits pour lui,
en me redonnant mes vers sur le vif.
Comme si je méritais ce paysage, la Nature me rend ce que je lui ai offert.
Cependant quelque part, dans un poème j’ai entendu
tourner les poulies du décor,
dans lequel les mots représentaient
la scène de la peinture du paysage
sur un panneau toujours changeant.
Seul le thé me restitue cette soirée,
avec la tasse et ma main qui forment
un même morceau de calcaire.
Aujourd’hui la fontaine rafraîchit l’eau de la citerne,
les merles descendus de la tonnelle se posent par terre,
et l’ombre gagne doucement la baie vitrée.
Les mots se déplacent et replacent
dans leur axe immobile de rotation,
l’espace où cette table en rotin
tournoie parmi les grandes nébuleuses.
In La poésie du Portugal des origines au XXe siècle, © Chandeigne, 2021 – traduction de Max de Carvalho
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