La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. » Montaigne
Chaque jour un texte pour dire la poésie, voyager dans les mots, écrire les espaces, dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente. Pour se laisser ravir et ravager.
Allen Ginsberg
I
Dans les profondeurs de la gare routière Greyhound
assis bêtement sur un chariot à bagages les yeux au ciel en attendant le départ du Los Angeles Express
gambergeant à l’éternité au-dessus du toit du Bureau de Poste dans les cieux rouges du centre-ville la nuit,
en fixant à travers mes lunettes je me suis rendu compte frémissant que ces pensées n’étaient pas l’éternité, ni la pauvreté de nos vies, irritables bagagistes
ni les millions de parents en pleurs entourant les bus faisant au revoir de la main,
ni d’autres millions de pauvres se précipitant de ville en ville pour voir leurs proches,
ni un indien mort de trouille parlant à un flic énorme près du distributeur de Coca,
ni cette vieille dame tremblante avec une canne faisant le dernier voyage de sa vie,
ni le portier cynique au képi rouge récupérant ses pièces et souriant devant les bagages défoncés,
ni moi contemplant tout autour le rêve horrible,
ni le manutentionnaire noir à moustache nommé Spade, distribuant de sa longue main merveilleuse le destin de milliers de colis express,
ni Sam la pédale au sous-sol traînant la patte d’une malle de plomb à l’autre,
ni Joe au guichet avec sa dépression nerveuse souriant lâchement aux clients,
ni le local intérieur ventre de baleine vert-grisâtre où on garde les bagages sur des casiers hideux,
des centaines de valises pleines de tragédie balançant d’avant en arrière en attendant d’être ouvertes,
ni les bagages qui sont perdus, ni les poignées endommagées, plaques nominales disparues, fils de fer pétés & cordes cassées, malles entières explosant sur le sol en béton,
ni les sacs de marins vidés remplissant la nuit dans l’entrepôt final.
In Howl et autres poèmes, © Christian Bourgois, 2022 – traduction par Nicolas Richard
Internet
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Contribution de PPierre Kobel
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