La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Gustave Roud
Entre les roses noircies et ces traînées de bave orange hier encore capucines, un aster tend ses rameaux de fleurs fripées, tremble silencieusement, supplie ! Détresse pour détresse, il n’est pas d’abîme entre celle des plantes et celle des hommes.l’absolu d’une solitude les rapproche jusqu’à l’échange : j’ai vécu cette mutuelle pitié. C’est pourquoi j’entends l’appel à peine balbutié là-bas dans la bise. J’irai toucher les minces tiges mordues par le gel, je les caresserai comme elles avaient frôlé jadis l’épaule du rôdeur jeté dans un vertige de néant contre leur touffe moribonde.
J’irai – mais quelle lourde présence retrouve ce jadis peu à peu ! La même liqueur entre les mains tressées, la même odeur prise aux rideaux, cigare éteint, poussière… Quelle mollesse m’englue à cette table ? Où m’efforcer à pas de plomb ?
J’irai – mais déjà le tain de la nuit se fige aux fenêtres basses. Chaque vitre m’aveugle et m’assène un double sans merci. Perdu dans le puits des miroirs ; emmuré tout vivant avec moi-même. Seul. Innombrable. Seul.
Seul, sans avoir caressé ni cueilli la tige étoilée qui devait me rouvrir, plus puissante qu’un rameau d’or, notre royaume. Seul, et quelle flaque de sang dans le noir où piéger l’Ombre peureuse ? Seul. Une lampe éclate, une heure tonne. Seul. L’auberge des vivants n’est plus celle des morts.
In Requiem, © Payot, 1967
Bibliographie partielle
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Éditions Zoé | Oeuvres complètes, 2022
Internet
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Wikipédia | Gustave Roud
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Le site des amis de Gustave Roud
Contribution de PPierre Kobel
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