La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Christian Bobin
C’est la décision la plus évidente du monde que de donner à une rose le nom de Camille Claudel. Toute son œuvre est traversée du flux sans cesse renouvelé des étoiles. Elle a enfanté des rivières de bronze. Elle est bâtie comme une rose de douleur dont le centre abrite la plus grande lumière que nous puissions, vivants, jamais connaître.
Le centre des guerres est ce point calme, très calme : une rose unique, gardienne de la vie. Si tu veux la voir, ferme les yeux et regarde en toi dans ce parc très ancien où rien ni personne, pas même ton angoisse, n’a jamais pu entrer.
Entre un point de hernie discale qui se creuse dans ma chair, le pouce que Camille Claudel enfonce dans l’argile d’une statue, et le miraculeux cercle de poussière qu’un doigt de soleil appuie sur la fenêtre, il y a des échanges, un « travail » en cours entre ces trois royaumes qui n’ont de sens que d’être passagers.
Quand je suis devant La Petite Châtelaine, l’enfant est si sensible que le marbre de ses joues frémit sous le souffle de mon regard.
La Petite Châtelaine devrait être exposée seule, dans une pièce vide. Un météore tombé de l’invisible auquel jadis les hommes croyaient.
Camille a extrait des ténèbres ce bloc irradiant de sensibilité sans lequel nous ne serions rien. Nous devons tout à cette abandonnée. Tout. Aujourd’hui le peuple des roses s’incline devant sa reine.
In Le murmure, © Gallimard, 2024
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Contribution de PPierre Kobel
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