Un jour, un texte : Anne Barbusse | il pleut furieusement sur le monde…

La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne

Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.

Anne Barbusse

il pleut furieusement sur le monde

et il nous faudra tant de mots pour nous extraire
de l’obscurité – à peine si la pluie nous
regarde, tombant sans phrase et sans oiseau, noyant
décembre de crépuscules diurnes, toujours inoculant
l’hiver aux présences furtives et brunes,

                                                            et le tilleul
fait naufrage avec élégance sans feuilles et sans remords
tête baissée dans toute syntaxe délirante
yeux éclaboussés d’eaux,

                        livres demi-fermés et avec les brumes
alanguies si blanches que le jardin déconstruit pardonne
aux vivants provisoires,

                                    jardiniers des terres froides

et hurlant les vents et les pluies, à moitié hivernaux
dans la décroissance
de la lumière, transis
et impétueux, révoltés de naissance et activistes
par survie,

dans les ombres essentielles courant
dans les mistrals ou les brouillards, sans thym et sans chêne
avec nos corps-tissus que nous travaillons d’arrache-pied
à satisfaire, dans les pluies et le jasmin seul fleuri, inédite
indécision – tous les oiseaux ont fui l’espace,
                                     le chant de pluie les absout

oiseau hivernal invisible mué
en mystère, pluie glacée et nouvelles du monde
effrayantes, et la brume lave son linge
dans le lavoir du ciel
puis la lune gifle l’hiver
et l’hiver croît

alors vos gestes deviennent barrières intangibles
vos masques ont respiration bâclée
vos commerces non essentiels vous insultent
mais vos centres commerciaux parodiques sont pleins

quand les parias vont dans la nuit facilitée
et le sang des arbres poétiques

– alors ton corps matière s’écoule sur le sol
souillé et en marche ver la mort, dans le parfum
des citrons et les pluies torrentielles

In Ma douleur planétaire, © Tarmac, 2024

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Contribution de PPierre Kobel