La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Raoul Schrott
Une histoire de l’écriture III
là où le fleuve ruissele sur les dalles rocheuses, le blanc des bulles pousse dans l’ocre des embruns – le vert repu où l’eau a inondé le rectangle des champs fait croître le riz dans la fumée que soufflent les feux de brousse – et puis, l’après-midi, viennent les orages et se brûlent aux eucalyptus – la canicule défriche son territoire et cuit les herbages argileux en mottes de latérite – les flammes teintent de rouge le fer aux racines de l’herbe et lessivent la rive dans la mer – sur les tessons en argile brûlés, la pluie s’inscrit en son sanscrit et l’une après l’autre, les lignes s’embrasent de la cendre, dans les mètres irréguliers des vents – les sifflantes de la terre – la langue des nuages se voûte au palais du versant et lèche les souches – le bleu d’une mangue ronge les flammèches – le ciel scande son brasier – il répète phrase après phrase et le champ des paysans se plie à cette sentence : la faim cultive son propre langage – pour faire place à une première récolte la jungle doit d’abord brûler jusqu’à la plaine – le feu marche du même pas que la route et que le cours des ruisseaux, estampe les champs hors du noir – du ciel on peut distinguer des lettres rudimentaires comme les lignes de la main
tamatavé, 6.12.97
In Tropen, © Carl Hanser, 1998 – traduction de l’allemand par Odile Demange
Contribution de PPierre Kobel
Commentaires